Le CESE frustré par le nouveau pacte sur la migration: «le diable se cache dans les détails»

Lors d’un débat avec Ylva Johansson, la commissaire européenne chargée des affaires intérieures, à l’occasion de la session plénière du Comité économique et social européen (CESE), ce dernier a salué le nouveau pacte sur la migration et l’asile tout en critiquant son manque d’ambition et d’audace. Trop axé sur les frontières et les retours, le pacte propose trop peu de solutions réalisables pour encourager une approche solidaire de la gestion des migrations.

Le 27 janvier, le CESE a tenu un débat avec la commissaire Johansson juste avant d’adopter son avis relatif à un nouveau pacte sur la migration et l’asile. Dans cet avis, le Comité exprime ses réserves quant à la capacité du pacte à contribuer à la mise en place d’un cadre européen commun pour la gestion des migrations qui soit à la fois efficace et conforme aux valeurs de l’UE.

En ouverture du débat, Christa Schweng, présidente du CESE, a déclaré: Je suis très heureuse que la Commission ait présenté le pacte sur la migration et l’asile attendu de longue date, même dans ces conditions très difficiles. Il n’y a pas d’excuse pour ne pas avoir une approche commune et réaliste des questions migratoires, et il n’y a absolument pas de temps à perdre. Le nouveau pacte est l’occasion pour l’UE d’aller de l’avant et de créer une base commune solide pour agir sur les questions de migration et d’asile.

Dans ses remarques introductives, Mme Johansson a déclaré: L’UE souffre depuis trop longtemps d’un débat toxique sur la migration. Il est temps à présent de revenir à un débat dépassionné et de trouver des solutions pragmatiques.

La commissaire a pointé la migration irrégulière comme étant le défi le plus pressant d’aujourd’hui, car elle n’est pas suffisamment bien gérée. De l’avis de la Commission, il convient de s’attaquer aux causes profondes de la migration irrégulière et de renforcer la coopération avec les pays tiers. Il est également primordial de gérer plus efficacement les retours, étant donné qu’environ un tiers seulement des décisions de retour sont effectivement exécutées. Une réelle solidarité entre les États membres revêt une importance cruciale.

Mme Johansson a également insisté sur la nécessité d’investir dans des voies d’entrée légales, tant pour les réfugiés, au moyen de programmes de réinstallation, que pour les travailleurs migrants, et de donner aux migrants légaux une chance de s’intégrer dans la société de l’Union.

 

Critiques du CESE

S’il est considéré comme bienvenu, le nouveau pacte n’a pas reçu l’approbation du CESE.

La principale critique avancée par le Comité est que le pacte se concentre principalement sur les retours et la gestion des frontières, au détriment d'autres questions brûlantes comme les voies régulières d’immigration, les voies d’accès sûres pour l’asile, et l’intégration des migrants. En outre, selon le CESE, certaines des solutions proposées pourraient ne pas être réalisables dans la pratique.

Le rapporteur de l’avis, José Antonio Moreno Díaz, s’est exprimé en ces termes au cours de la session plénière: Nous avions de grands espoirs concernant ce pacte, mais je dois dire que nous sommes un peu déçus. L’analyse de la Commission est correcte, nous sommes d’accord avec ses conclusions, mais le diable se cache dans les détails, et nous sommes frustrés par les propositions formulées.

Le corapporteur de l’avis, Cristian Pîrvulescu, a regretté quant à lui le manque d’avancées sur certaines des questions traitées dans le pacte. Nous faisons le triste constat qu’il n’y a pas eu beaucoup de progrès, mais au contraire beaucoup de reculs. Nous encourageons la Commission à adopter une approche plus audacieuse pour certaines de ces questions. Il est très important d’avoir le courage d’appeler les choses par leur nom, a-t-il déclaré.

Selon le CESE, les principales failles du pacte résident dans le contenu de ses propositions. Il est notamment proposé un règlement relatif à la gestion de l’asile et de la migration, qui prévoit un nouveau mécanisme de solidarité et une nouvelle législation visant à établir une procédure de filtrage aux frontières extérieures. S’ajoute à cela une proposition de règlement relatif aux procédures d’asile, qui établit une nouvelle procédure à la frontière; une nouvelle stratégie en matière de retour volontaire et de réintégration; et une recommandation sur la coopération entre les États membres en ce qui concerne les activités de sauvetage menées par des entités privées.

Le pacte décrit en détail le nouveau mécanisme de solidarité, qui permettrait aux États membres de participer à la relocalisation ou au parrainage en matière de retour des personnes en situation irrégulière. Toutefois, le CESE n’est pas convaincu que ce nouveau mécanisme volontaire et sélectif allégerait effectivement la charge pesant sur les pays soumis à la pression la plus forte. Il n’est pas prévu de dispositions pour inciter les pays à participer au mécanisme, alors même que certains d’entre eux ont refusé de le faire dans le cadre du précédent programme de relocalisation.

Le CESE estime également que le système de filtrage préalable à l’entrée et les procédures à la frontière proposés sont insuffisants: on ne voit pas très bien dans quelle mesure le délai de cinq jours prévu pour effectuer l’inspection/le filtrage serait réalisable en pratique, en particulier dans les pays qui accueillent le plus grand nombre de personnes arrivant illégalement par voie maritime.

En outre, le CESE regrette que le pacte ne fasse pas référence au pacte mondial des Nations unies pour des migrations sûres, ordonnées et régulières, pour la gestion des migrations internationales.

 

Pour Mme Johansson, la réalité est différente de celle de 2015

La commissaire a signalé qu’elle était profondément en désaccord avec l’idée selon laquelle la Commission manquerait d’ambition. «La réalité d’aujourd’hui est très différente de celle de 2015, lorsque nous avons eu un afflux massif de réfugiés et que la relocalisation était un problème majeur, a-t-elle déclaré. Elle a expliqué qu’aujourd’hui, la grande majorité des nouveaux arrivants en situation irrégulière ne sont pas des réfugiés. Par conséquent, il est très important de prendre rapidement des décisions et de procéder à des retours.

 

Les citoyens nous demandent de faire la distinction

La commissaire a ajouté que l’efficacité des procédures de retour était importante pour deux raisons. D’une part, cela envoie un message fort aux passeurs, qui disent aux migrants qu’une fois qu’ils auront mis le pied sur le territoire européen, ils pourront rester indéfiniment. Nous devons montrer que cela n’est pas vrai, a-t-elle déclaré.

D’autre part, les procédures à la frontière et les retours sont liés à la préservation du droit de demander l’asile et à l’obligation d’accorder une protection internationale à celles et ceux qui en ont besoin.

Il est important de défendre leur droit de venir ici, de demander l’asile et de bénéficier d’une procédure juste et équitable, a-t-elle ajouté. À l’issue de cette procédure, si la décision est négative, ces personnes ne peuvent prétendre à une protection internationale et doivent retourner dans leur pays. C’est ce que les citoyens européens nous demandent, d’opérer cette distinction. Les personnes qui ont droit au séjour sont les bienvenues et nous souhaitons qu’elles fassent partie de notre société.

 

Situation en Bosnie

Au cours du débat, les membres du CESE ont fait part de leur vive préoccupation face à la situation à la frontière de l’UE avec la Bosnie-Herzégovine, où 2 500 migrants sans accès à des abris de base luttent pour survivre à la faim, à la soif et à l’hiver, alors que l’UE a financé le camp de Bira, tout à fait adapté aux conditions hivernales, que les autorités locales refusent toutefois d’ouvrir.

Je sais que l’UE fournira 3,5 millions d’euros supplémentaires, en plus des 88 millions d’euros déjà alloués à la Bosnie-Herzégovine ces trois dernières années, pour venir en aide aux réfugiés et aux migrants vulnérables, a déclaré la présidente du CESE, Christa Schweng.  Mais notre intervention ne peut pas continuer à se limiter à des incitations financières. Nous devons mettre en œuvre des solutions durables fondées sur la solidarité. Il faut également des voies migratoires sûres et de meilleures conditions de vie dans les pays d’origine, ce qui peut être réalisé au moyen de mesures politiques, économiques et sociales.

 

Contexte

Le 23 septembre 2020, la Commission européenne a présenté un programme de travail intitulé Nouveau pacte sur la migration et l’asile. À l’occasion d’une conférence de haut niveau organisée en novembre 2020 par le Comité économique et social européen, des représentants de la société civile, de groupes de réflexion et du Parlement européen ont qualifié le pacte d’«occasion manquée de prendre un nouveau départ pourtant nécessaire». Le 27 janvier 2021, l’assemblée plénière du CESE a adopté son premier avis sur le pacte.