L’éradication de la précarité énergétique est au cœur de la résilience future de l’UE: l’atténuer dès à présent devrait compter parmi les grandes priorités de la politique sociale

L’amélioration drastique de l’efficacité énergétique des bâtiments européens, le recours accru aux énergies renouvelables et l’éducation des consommateurs aux économies d’énergie figurent parmi les principales conditions à remplir pour réduire à long terme le nombre de personnes en situation de précarité énergétique au sein de l’UE.

Face à la hausse spectaculaire des prix de l’énergie, dont nous n’avons pas encore ressenti pleinement les effets, l’UE cherche à réduire rapidement sa dépendance aux combustibles fossiles et à se tourner vers des sources d’énergie plus propres et moins onéreuses. Elle assurerait ainsi son indépendance et sa sécurité énergétiques, tout en faisant en sorte que les Européens n’aient pas de difficulté à payer leur facture énergétique.

Il convient de remédier d’urgence, au niveau de l’UE, aux perturbations actuelles du marché de l’énergie, afin de soutenir ceux qui sont déjà en situation de précarité énergétique et d’écarter tout risque de troubles sociaux plus importants. Nous devons améliorer le niveau de vie des millions de personnes au sein de l’UE qui sont actuellement touchées par la précarité énergétique, que les objectifs pour 2030 soient atteints ou non.

À cet égard, l’UE a présenté une nouvelle législation et un certain nombre de politiques axées sur l’efficacité et la sécurité énergétiques à long terme, telles que le paquet Ajustement à l’objectif 55, le Fonds social pour le climat et le dernier plan REPowerEU. Elle a également affecté des sommes importantes à cette fin. Il ressort toutefois d’une audition du CESE que pour mener à bien une transition écologique qui ne laisse personne de côté, il faudra s’assurer la participation de tous, qu’il s’agisse des consommateurs, des partenaires sociaux ou des pouvoirs publics à tous les niveaux.

L’audition sur le thème Lutte contre la précarité énergétique et résilience de l’Union: enjeux économiques et sociaux a réuni des représentants des institutions européennes et de la société civile, qui ont convenu que la lutte contre la précarité énergétique serait un marqueur de la résilience future de l’UE et devrait constituer sa principale priorité, aujourd’hui comme à court terme.

La lutte contre la précarité énergétique doit être une priorité absolue pour l’UE et ses États membres, a déclaré Ioannis Vardakastanis, rapporteur de l’avis du CESE sur le sujet.

M. Vardakastanis a annoncé que l’avis du Comité plaiderait en faveur d’une vaste et ambitieuse coalition chargée d’analyser la précarité énergétique et de lutter contre ce phénomène au moyen d’une approche globale associant les parties prenantes européennes et nationales. Il a ajouté qu’inciter davantage les consommateurs à réduire leur consommation d’énergie et à rénover leurs bâtiments de manière intelligente et durable contribuerait à éradiquer la précarité énergétique à long terme, au même titre que l’investissement dans une énergie propre, le soutien de tous les consommateurs et la protection des plus vulnérables.

D DEVRAIT ÊTRE LA CLASSE D’EFFICACITÉ ÉNERGÉTIQUE MINIMALE POUR TOUS LES BÂTIMENTS À L’HORIZON 2030

Dans son discours d’orientation, Camille Defard, chercheuse à l’Institut Jacques Delors, a souligné l’importance fondamentale d’une rénovation énergétique en profondeur des bâtiments pour atteindre les objectifs climatiques de l’UE et extraire les gens de la précarité énergétique.

Aujourd’hui, quelque 75 % des ménages dépendent des combustibles fossiles, principalement le gaz, pour chauffer leur logement. En outre, 90 % environ de l’énergie utilisée dans les bâtiments est gaspillée, étant donné que plus de la moitié du parc immobilier se situe dans la classe énergétique la plus basse, à savoir F. Avant même la crise énergétique, 35 millions d’Européens ne pouvaient pas se permettre de chauffer suffisamment leur logement en hiver, ce chiffre étant susceptible d’augmenter considérablement au cours des prochains mois.

Pour parvenir à la neutralité climatique, nous devons rénover la quasi-totalité de nos bâtiments afin d’atteindre la meilleure norme énergétique, la classe “A”. En nous affranchissant progressivement de notre dépendance à l’égard des combustibles fossiles, nous sortirions des millions de ménages de la précarité énergétique, a déclaré Mme Defard, ajoutant que l’Europe payait aujourd’hui le prix de l’inaction passée. Des économies d’énergie équivalentes aux importations de gaz russe auraient pu être réalisées si nous avions défini des objectifs de rénovation et pris des mesures pour les atteindre au cours des dernières décennies.

Parmi les principales recommandations d’action à adresser à l’UE, elle a cité une révision ambitieuse de la directive sur la performance énergétique des bâtiments (DPEB) et la fixation de la classe d’efficacité énergétique D comme norme minimale de performance énergétique à atteindre pour tous les bâtiments d’ici à 2030.

Il y a lieu également de prévoir à cette fin des subventions élevées, des politiques de facilitation, une assistance technique aux États membres et aux collectivités locales, ainsi que des programmes de reconversion et de perfectionnement professionnels pour les travailleurs du secteur de la construction, où de nouveaux emplois de qualité devraient être créés.

L’efficacité énergétique est devenue une question de sécurité nationale en raison de l’évolution des prix et de la situation géopolitique, mais nous devons d’abord tenir compte du fait que les États membres et les régions n’ont pas tous la même position de départ, a déclaré Tsvetelina Penkova, députée au Parlement européen. À l’heure actuelle, la situation n’est guère brillante: sur l’ensemble des bâtiments rénovés en un an, seuls 20 % ont vu leur efficacité énergétique s’améliorer.

André Viola, rapporteur du Comité européen des régions sur la DPEB, a souligné la nécessité d’investissements appropriés dans la rénovation des bâtiments.

Le secteur de la construction est le plus grand consommateur d’énergie de l’UE et l’un des principaux producteurs de gaz à effet de serre, plus de 30 % des émissions trouvant leur origine dans ce secteur. Pour enrayer le changement climatique, nous devons d’abord mettre un terme aux émissions de gaz à effet de serre provenant des habitations, a déclaré M. Viola. Nous connaissons les solutions — elles sont coûteuses — et nous avons besoin d’une volonté politique pour les mettre en œuvre. Mais nous considérons qu’il s’agit d’un investissement dans l’avenir et d’une réduction de notre dépendance à l’égard des combustibles fossiles.

Ensemble, la rénovation énergétique des bâtiments et l’utilisation des énergies renouvelables peuvent aider les gens à échapper à la précarité énergétique en réduisant et en éliminant leurs factures de combustibles fossiles, ce que la Commission préconise depuis des années, a déclaré Adela Tesarova, cheffe d’unité à la direction générale de l’énergie de la Commission européenne.

La directive révisée sur l’efficacité énergétique contiendra une définition de la précarité énergétique, qui devrait poser les bases d’un cadre solide pour la législation dans ce domaine. Elle accordera également la priorité aux actions en faveur des économies d’énergie parmi les personnes vulnérables et en situation de précarité énergétique, qui doivent être intégrées aux projets axés sur les énergies renouvelables menés dans leur entourage. À cette fin, de nombreuses communes commencent déjà à mettre en place des communautés énergétiques.

Mme Tesarova a insisté sur la nécessité pour la société de se mobiliser dans son ensemble afin de lutter contre la précarité énergétique en appliquant différentes solutions.

Plusieurs projets consacrés à la précarité énergétique ont été présentés lors de l’audition. Monika De Volder, du Bureau européen des unions de consommateurs (BEUC), a présenté le projet STEP (Solutions to Tackle Energy Poverty ou solutions pour lutter contre la précarité énergétique), financé par l’UE et géré par 11 organisations de recherche et de défense des consommateurs. Entre 2019 et 2022, ce projet a permis de conseiller 16 000 consommateurs dans toute l’Europe, de former plus de 1 000 agents de première ligne et de générer, selon les estimations, 38,4 GWh d’économies d’énergie primaire.

Jeppe Mikél Jensen, du groupe consultatif sur la précarité énergétique, a indiqué que son organisation avait mis en place des guichets uniques offrant aux propriétaires de logements des informations pratiques et des orientations concernant la mise en œuvre de mesures individuelles en faveur de l’efficacité énergétique. Julien Joubert, d’Energy Cities, a donné l’exemple d’un projet à Rotterdam dans le cadre duquel a été mise en place une stratégie de transition thermique assortie notamment d’aides pratiques aux ménages.

En raison de la très faible compréhension de l’efficacité énergétique par le grand public et du faible niveau d’expertise des collectivités locales dans ce domaine, les orientations sur les communautés énergétiques et sur la lutte contre la précarité énergétique suscitent un vif intérêt, ont déclaré les intervenants.

UN PARCOURS SEMÉ D’EMBÛCHES

La mise en œuvre sur le terrain se heurte toutefois à de nombreux obstacles, qui vont des lenteurs dans l’application de la législation existante au sein des États membres à la pénurie aiguë de main-d’œuvre qualifiée dans le secteur de la construction, qui touche l’ensemble de l’UE.

Tom Deleu, secrétaire général de la Fédération européenne des travailleurs du bâtiment et du bois, a affirmé que si l’industrie du bâtiment se félicite de l’accent mis sur la rénovation des bâtiments, elle ne possède tout simplement pas la main-d’œuvre nécessaire à cette fin.

Pour que la transition écologique se concrétise, nous devons attirer de nouveaux travailleurs dans le secteur et veiller à ce qu’ils aient un avenir dans l’industrie, a-t-il déclaré, ajoutant que le secteur de la construction était également à la traîne en raison d’une main-d’œuvre peu qualifiée, ce qui entrave l’innovation. La hausse des prix des matériaux de construction et de l’énergie, l’indisponibilité des matériaux et les problèmes rencontrés au niveau des chaînes d’approvisionnement ont également entravé les activités de rénovation.

Gerhard Huemer, directeur pour la politique économique et fiscale de l’association SMEunited, a mis en garde contre les lourdes conséquences de la transition écologique sur la situation financière des citoyens comme des entreprises. Pour que la transition soit une réussite, «la meilleure garantie est de préserver l’emploi». Les fonds publics ne suffiront pas: le secteur privé devra également investir.

Elmar Thyen, président du groupe de travail sur l’énergie de SGI Europe, a mis en garde contre le risque élevé de troubles sociaux dans toute l’Europe, à l’image du mouvement des Gilets jaunes, si les perturbations du marché de l’énergie devaient persister.

La Commission a constaté à juste titre que la taxation de l’énergie était susceptible d’aggraver la précarité en matière d’énergie et de transports, et nous l’avons exhortée à ne pas faire courir aux États membres le risque de pousser davantage de personnes dans la pauvreté, a-t-il déclaré, ajoutant que les entreprises de distribution d’eau et d’énergie devaient investir dans l’avenir, ce qu’elles ne seront pas en mesure de faire si elles sont sollicitées à l’excès dans le cadre de la lutte contre la précarité énergétique.

Laura de Bonfilis, responsable des activités de plaidoyer au sein de la Plateforme sociale, a mis l’accent sur la nécessité d’accorder une attention particulière aux personnes qui se trouvent déjà en situation de précarité énergétique. Celle-ci rend encore plus pressant le besoin de disposer d’une définition commune de ce phénomène.

Les personnes en situation de précarité énergétique devraient pouvoir profiter pleinement de la transition, sans devoir se résoudre à rester dépendantes des combustibles fossiles. Un mécanisme d’évaluation de l’impact social devrait être mis en place afin de s’assurer que les mesures en faveur de l’efficacité énergétique n’aggravent pas la situation des personnes dont le niveau de vie est affecté par la hausse des prix de l’énergie ou qui sont déjà en situation de précarité énergétique, a-t-elle affirmé.

Les participants ont par ailleurs convenu que les consommateurs devaient être protégés par une interdiction de la pratique consistant à interrompre l’alimentation en énergie.

Il ne faut pas perdre de vue que la précarité énergétique s’inscrit dans une situation de pauvreté générale. La Commission et les États membres doivent continuer de se concentrer spécifiquement sur la réduction de la pauvreté dans son ensemble, en accordant une attention particulière à la population déjà en situation de précarité énergétique et aux personnes qui risquent de s’y retrouver en raison de l’augmentation des prix de l’énergie. Les prix actuels nous rappellent qu’il convient constamment d’améliorer l’accès à l’emploi et d’assurer l’inclusion sociale et un niveau de vie décent, a conclu M. Vardakastanis.