L’état de droit: mieux le comprendre pour mieux le défendre

«L’état de droit: pourquoi s’en préoccuper?», telle était la question soumise à la réflexion des participants à une audition organisée conjointement par le groupe «Droits fondamentaux et état de droit» du CESE et l’Association internationale du barreau (IBA) le 6 juillet 2022 à Bratislava, en Slovaquie.

Les débats étaient animés par Katarina Čechová, membre de l’IBA. Cristian Pîrvulsecu, membre du CESE et président de son groupe «Droits fondamentaux et état de droit» (groupe DFED), a ouvert la discussion en abordant l’un des défis que pose cette thématique, à savoir la définition de l’état de droit. Le terme lui-même se traduit par des concepts tels que «Rechtsstaat» en allemand ou «Rule of Law» en anglais, qui, s’ils sont liés, n’en sont pas pour autant identiques compte tenu des différences de culture politique et de contexte juridique.

Georges Artley, avocat de la commission des questions du barreau (BIC) de l’IBA, a souligné qu’il était nécessaire de sensibiliser davantage l’opinion publique à l’état de droit. Aussi l’IBA a-t-elle lancé, en 2018, une vaste campagne intitulée Look after the Rule of Law, and it will look after you («Défendez l’état de droit et il vous défendra»). L’objectif était d’améliorer la compréhension de ce concept et d’humaniser la discussion, en particulier en ce qui concerne des groupes cibles spécifiques. M. Artley a souligné l’importance que revêt l’état de droit pour assurer le progrès social et le contrat social entre la population et l’État. Il a indiqué que les droits fondamentaux et l’état de droit étaient étroitement liés et que les droits fondamentaux ne seraient que de vains mots sur le papier si des institutions n’avaient pas été créées pour les protéger et les faire respecter.

Les discussions ont porté sur l’importance de l’état de droit dans l’UE. Gregory Fabian, membre du barreau de l’État de New York, a déclaré que s’il n’existait pas de définition juridique de l’état de droit, ce concept faisait toutefois l’objet de définitions opérationnelles basées sur la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne. Compte tenu des traditions constitutionnelles communes aux États membres de l’UE, la Cour a considéré que l’état de droit impliquait les principes de légalité, de sécurité juridique, d’interdiction de l’arbitraire du pouvoir exécutif, le droit à un procès équitable devant des juridictions indépendantes et impartiales, la séparation des pouvoirs et l’égalité devant la loi. Interrogé sur la manière d’améliorer l’évaluation de l’état de droit, M. Fabian a plaidé en faveur d’une approche de l’état de droit fondée sur les droits de l’homme. Les États s’engagent à respecter, protéger et faire respecter les droits économiques, sociaux, culturels, civils et politiques en adhérant aux instruments juridiques internationaux en matière de droits de l’homme, tels que les conventions. Ces instruments servent de base à l’élaboration d’indicateurs en matière de droits de l’homme qui mesurent avec précision le respect, par les États, de leurs engagements internationaux en la matière en ce qui concerne la volonté juridique et politique, les processus et les résultats.

Après avoir évoqué les principales caractéristiques de l’état de droit, Vlastka Kunová, professeure associée de droit à l’université Matej-Bel, a souligné l’importance d’une prévention précoce afin d’éviter que les défis se posant en matière d’état de droit ne deviennent plus compliqués à relever lorsqu’ils se transforment en situations critiques. La boîte à outils de l’UE en matière d’état de droit permet un large éventail d’actions, de la procédure prévue à l’article 7 aux dialogues sur l’état de droit en passant par la conditionnalité budgétaire.

Peter Varga, président du conseil d’administration du Centre national slovaque pour les droits de l’homme, a évoqué la transparence dans la vie politique et publique. En sa qualité de représentant d’une institution nationale de défense des droits de l’homme, il a indiqué qu’il importait que les gouvernements acceptent les critiques émanant de ce type d’organisations indépendantes ainsi que de la société civile. M. Varga a en outre mis l’accent sur le lien existant entre les droits de l’homme, l’état de droit et la lutte contre la discrimination. L’égalité et la lutte contre la discrimination sont des notions fondamentales de la culture juridique, et il ne peut y avoir de démocratie dans un État qui n’est pas attaché à la diversité. À cet égard, M. Varga a estimé que la Slovaquie tirait grandement parti de son adhésion à l’Union européenne, laquelle a encouragé la consolidation de son cadre en matière de lutte contre la discrimination.

Ján Ivančík, conseiller juridique de Transparency International Slovaquie, a centré son intervention sur la relation entre la transparence et l’état de droit. Il a déclaré que le rôle de surveillance joué par les organisations de la société civile était essentiel tant dans les pays problématiques que dans ceux qui appliquent des normes élevées, et a cité le blanchiment de capitaux comme un exemple du paradoxe selon lequel les pays appliquant des normes élevées en matière d’état de droit ne sont pas toujours les plus transparents. M. Ivančík a également évoqué la nécessité de se concentrer sur le suivi de la mise en œuvre effective de la loi plutôt que sur le contenu de la législation. Il a indiqué que la Slovaquie disposait par exemple de cadres juridiques de qualité sur des thématiques comme la liberté d’information et la transparence des marchés publics, mais que c’était leur mise en œuvre qui importait.

Plusieurs intervenants ont formulé des observations sur l’incidence de l’état de droit sur la vie quotidienne des citoyens. Helena de Felipe Lehtonen, membre du CESE et vice-présidente du groupe DFED, a expliqué que l’état de droit était désormais une préoccupation essentielle tant pour les partenaires sociaux que pour les employeurs et les travailleurs. Elle a rappelé qu’en 2019, les partenaires sociaux européens avaient adopté une déclaration soulignant leur plein engagement en faveur de l’état de droit. Mme de Felipe Lehtonen a en outre évoqué le lien entre l’état de droit et la croissance, en citant l’avis élaboré par le CESE en 2020 sur ce sujet. L’état de droit est important d’un point de vue économique car il garantit la sécurité des biens, l’exécution des contrats et le contrôle des gouvernements ainsi de la corruption et de la captation privée.

Ozlem Yildirim, membre du CESE et vice-présidente du groupe DFED, a ensuite abordé le rôle de l’état de droit dans la protection et la promotion des droits des travailleurs et de la non-discrimination. Les partenaires sociaux ont un intérêt direct dans l’état de droit, car le droit d’association, le droit à la négociation collective et l’autonomie des partenaires sociaux ne peuvent prospérer que dans des démocraties à part entière. Mme Yildirim estime dès lors qu’il est essentiel que l’Union reconnaisse la manière dont le dialogue social, la négociation collective et la démocratie sur le lieu de travail contribuent à la stabilité de la démocratie. Elle a plaidé pour que l’Union utilise tous les moyens à sa disposition pour mener des actions visant à contrer la montée du populisme et ses attaques contre les droits fondamentaux, la société civile et les institutions, qui mettent la démocratie en péril.

Pour conclure les débats, M. Pîrvulsecu a souligné le rôle essentiel de la société civile dans la défense de l’état de droit, en particulier dans le cadre du modèle illibéral qui met actuellement à mal les droits, l’espace civique et la protection de l’état de droit.

Informations contextuelles

L’audition sur «L’état de droit: pourquoi s’en préoccuper?» a eu lieu le mercredi 6 juillet dans les locaux de la représentation de la Commission européenne à Bratislava, en Slovaquie. Elle était organisée conjointement par le groupe «Droits fondamentaux et état de droit» (groupe DFED) du CESE et par l’Association internationale du barreau (IBA) et a réuni des membres du groupe DFED du CESE, des praticiens du droit slovaques et d’autres parties prenantes. La manifestation publique a eu lieu avant la visite du groupe DFED en Slovaquie les 7 et 8 juillet. Cette visite est la 17e organisée par le groupe DFED, après la Roumanie, la Pologne, la Hongrie, l’Autriche, la France, la Bulgarie, l’Italie, le Danemark, l’Allemagne, l’Irlande, la République tchèque, l’Espagne, Chypre, la Lituanie, la Grèce et la Finlande. Les rapports de visite par pays sont disponibles sur la page web du groupe DFED.

Le groupe DFED a été créé en 2018 en tant qu’organe horizontal au sein du Comité économique et social européen. Il a été chargé d’intensifier la contribution de la société civile organisée au renforcement des droits fondamentaux, de la démocratie et de l’état de droit et de répondre au problème du rétrécissement de l’espace dévolu aux organisations de la société civile. Ses travaux s’articulent autour d’une approche qui couvre des domaines considérés comme particulièrement importants et pertinents pour les travaux du CESE: les droits fondamentaux des partenaires sociaux, la liberté d’association, la liberté de réunion, la liberté d’expression et la liberté des médias, le droit à la non-discrimination et l’état de droit.

Mise en place en 1947, peu après la création des Nations unies, l’Association internationale du barreau (IBA) est la principale organisation internationale pour les professionnels du droit, les associations de barreaux et les cabinets juridiques. Elle est née de la conviction qu’une organisation regroupant les barreaux du monde peut contribuer à la stabilité et à la paix internationales grâce à l’administration de la justice. Au cours de ses 75 années d’existence, l’organisation est passée d’une association composée exclusivement d’associations de barreaux et cabinets juridiques à une association regroupant tant des avocats internationaux à titre individuel que des cabinets juridiques. Elle regroupe actuellement plus de 80 000 avocats internationaux issus de la plupart des principaux cabinets juridiques du monde et quelque 190 associations de barreaux et cabinets juridiques issus de plus de 170 pays.

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