Les réfugiés climatiques ne bénéficient que d’une faible protection, alors qu’ils représentent plus de la moitié de l’ensemble des migrants

Jusqu’à trois fois plus de personnes sont déplacées chaque année en raison de catastrophes naturelles que de conflits armés ou d’autres formes de violence, et une grande partie des migrations internationales d’aujourd’hui ont commencé par des déplacements internes liés aux conditions météorologiques.

Pourtant, la protection juridique des personnes forcées de quitter leur foyer et leur pays pour des raisons environnementales laisse encore à désirer: leur statut ne fait l’objet d’aucune définition juridique, et il n’existe aucun organisme international spécifique chargé de surveiller la protection de leurs droits, toutes préoccupations qui ont été soulevées lors d’une récente audition au Comité économique et social européen (CESE).

Cette audition, qui s’est déroulée en ligne en raison des mesures prises contre le coronavirus, a réuni des membres du CESE, des représentants d’organisations environnementales et internationales et des universitaires spécialistes du droit.

Nous ne savons pas encore parfaitement quelles conséquences le changement climatique aura sur nos citoyens et nos communautés, ni dans quelle mesure il est lié aux flux migratoires. Au niveau international, l’ensemble de personnes que nous regroupons sous le terme «réfugiés climatiques» n’est pas clairement défini, et nous ne sommes même pas certains que ce terme les décrive de manière adéquate, a expliqué Carlos Trindade, président du groupe d’étude du CESE sur l’immigration et l’intégration, dans ses remarques liminaires.

Peter Schmidt, président de l’observatoire du développement durable du CESE, a déclaré que la société civile devrait faire pression sur les personnalités politiques pour qu’elles agissent sur cette question, dans l’intérêt de tous.

C’est précisément la question des migrations qui peut nous faire réaliser dans quelle mesure nos sociétés et nos économies sont durables. Nos sociétés sont-elles véritablement prêtes à faire face à ce type de crise? Par ailleurs, ces crises n’arrivent pas de nulle part; nombre d’entre elles étaient annoncées, mais nous avons ignoré les avertissements, a ajouté Peter Schmidt.

Lors de l’audition, les intervenants ont indiqué que d’après les chiffres du Centre de surveillance des déplacements internes, les catastrophes naturelles étaient à l’origine du déplacement de plus de 17 millions des 28 millions de personnes qui ont fui leur foyer dans le monde en 2018. Parmi ces déplacements, 16 millions étaient dus à des événements météorologiques tels que des tempêtes, des inondations, des typhons ou des ouragans. En 2019, ce chiffre devrait dépasser les 20 millions.

Les déplacements liés à des catastrophes ont eu principalement lieu dans des pays d’Asie orientale et du Pacifique, tels que la Chine et les Philippines, suivis par Cuba, les États-Unis, l’Inde et le Bangladesh.

Un déplacement lié à des raisons environnementales n’est pas toujours la conséquence directe d’une catastrophe, mais peut également résulter de l’intervention progressive d’évènements tels que l’élévation du niveau de la mer ou la désertification, rendant de nombreux endroits impropres à la culture, voire hostiles à la vie humaine.

Les retombées du changement climatique pèsent de manière inégalitaire et se superposent à des facteurs géographiques, socio-économiques et de gouvernance pour frapper le plus durement les communautés les plus vulnérables et les plus pauvres. Celles-ci sont souvent les moins à même d’absorber les dégâts et ressentiront les incidences du changement climatique de la manière la plus tragique, a déclaré Rachel Simon, du Réseau action climat Europe.

François Gemenne, directeur de l’Observatoire Hugo de l’université de Liège, a expliqué qu’il était difficile de classer les individus selon le motif de leur migration, car les facteurs déclencheurs sont étroitement liés et s’influencent mutuellement.

Nous continuons de faire la distinction entre migration interne et migration internationale, alors qu’en réalité, un grand nombre des migrations internationales d’aujourd’hui étaient des migrations internes hier. Nous ne serons pas en mesure de faire face aux migrations internationales en provenance de l’Afrique, par exemple, à moins de s’attaquer au problème sur place, a estimé François Gemenne.

Il a donné l’exemple des migrations économiques en provenance d’Afrique de l’Ouest, initialement motivées par la dégradation des sols: lorsque les familles ne peuvent plus vivre de l’agriculture seule, elles envoient les jeunes hommes dans les grandes villes pour qu’ils y trouvent du travail. En cas d’échec, ils traversent souvent les frontières à la recherche d’un emploi, se retrouvant parfois en Europe après une dangereuse traversée de la Méditerranée.

Toutefois, malgré les estimations approximatives selon lesquelles en 2050, pas moins de 200 millions de personnes pourraient être déplacées à cause des seuls changements environnementaux, il n’existe toujours pas de définition juridique établissant le statut de ces personnes, ni de cadre global garantissant la protection de leurs droits.

En l’absence d’une définition précise de ce qui constitue une personne déplacée par des facteurs environnementaux, nous sommes incapables de mesurer exactement le nombre de déplacements existants et potentiels, a déclaré Isabel Borges, professeure et chercheuse à la Norwegian Business School et à l’université d’Oslo.

Si des mécanismes juridiques disparates existent pour protéger les personnes déplacées pour des raisons environnementales, leur protection internationale fait l’objet d’un vide juridique.

De nombreux textes juridiques relevant du droit international des réfugiés, tels que la Convention relative au statut des réfugiés, ne sont pas adaptés aux réfugiés climatiques ou sont trop axés sur la situation d’un continent en particulier, a déclaré Annabelle Roig-Granjon, du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés.

Cela étant, des progrès ont déjà été faits, avec par exemple l’initiative Nansen qui, depuis 2012, répond précisément aux besoins des personnes déplacées au-delà des frontières dans le contexte de catastrophes.

Cette année, un nouveau tournant a été marqué par la décision du Comité des droits de l’homme des Nations unies dans une affaire en Nouvelle-Zélande, dans le cadre de laquelle il a reconnu pour la première fois que le renvoi forcé de personnes dans un endroit où leur vie serait en danger à cause du changement climatique pouvait porter atteinte au droit à la vie en vertu du droit international.

En outre, un certain nombre de textes législatifs de l’UE prévoient également des mesures propres à prévenir les déplacements liés à des facteurs environnementaux, qui pourraient être adaptées afin de protéger les personnes déplacées dans ce contexte, comme il était indiqué dans le document de travail des services de la Commission portant sur le changement climatique, la dégradation de l’environnement et les migrations, élaboré en 2013.

Nous devons aborder les déplacements liés à des facteurs environnementaux comme une question relevant des droits de l’homme, et adopter une approche fondée sur les droits, a soutenu Isabel Borges. Pour ce faire, nous avons besoin d’un cadre global.

Toutefois, le discours politique actuel sur les migrations utilise souvent les migrants et les réfugiés comme des accessoires servant à avertir du danger du changement climatique, ce qui donne lieu à des arguments xénophobes suggérant que, si vous ne réduisez pas vos émissions de CO2, vous finirez par avoir des millions de migrants et de réfugiés qui frappent à votre porte.

Il est primordial d’appréhender les migrations pour ce qu’elles sont et d’attirer l’attention sur les droits des personnes déplacées, a déclaré François Gemenne, ajoutant qu’autrement, les pays seraient plus susceptibles de renforcer la surveillance des frontières que d’être attentifs au sort des personnes déplacées.

Il a souligné la nécessité d’établir une organisation internationale visant à aider les personnes déplacées pour des raisons environnementales, et a exhorté l’UE et les gouvernements nationaux à renforcer le mandat du groupe de travail sur les déplacements de population créé dans le cadre de l’accord de Paris, et à augmenter le nombre de ses membres.

Un autre problème réside dans le fait que les États n’agissent qu’en cas de catastrophe et ne pensent pas à la prévention des déplacements lorsque cela est possible.

La meilleure manière de procéder est de réduire les risques de déplacement, a affirmé Nina Birkeland, du Conseil norvégien pour les réfugiés. La plupart de ces personnes, si elles ont le choix, veulent rester chez elles. Et nous devons les y aider, a-t-elle ajouté.

Cependant, il est également important de mettre les individus hors de danger à temps et de prendre des dispositions pour prévoir leur réinstallation, a déclaré Nina Birkeland, ajoutant que des outils permettent de donner des alertes précoces en prévoyant les déplacements en cas de catastrophe.

Mais surtout, il est essentiel d’atténuer le changement climatique, d’abord en limitant le réchauffement à 1,5 °C, ce qui est crucial, mais également en réduisant considérablement les émissions de CO2.

À défaut, nous assisterons inévitablement non seulement à une augmentation des migrations, mais aussi à une hausse du phénomène de l’«immobilité forcée», à savoir le sort tragique des personnes trop pauvres pour fuir, déjà observé à la Nouvelle-Orléans après le passage de l’ouragan Katrina ou à Fukushima, où les populations pauvres n’ont eu d’autre choix que de rester dans la zone radioactive.