Les obstacles au marché unique entraînent d’immenses pertes pour le bien public collectif en Europe

Le marché unique a apporté de la richesse et de la cohésion à l’UE; c’est parfaitement logique. Il demeure fragmenté, ce qui a un coût considérable, mais nous disposons de nombreux outils pour le faire fonctionner et réduire les coûts de la non-Europe.

«Quelles sont les incidences macroéconomiques réelles du marché unique? Quels avantages présente un approfondissement plus poussé et sur quels secteurs l’UE devrait-elle se concentrer? Quels sont les obstacles les plus courants au marché unique et comment les éliminer?»

Autant de questions auxquelles le CESE a répondu dans son avis sur «Le coût de la non-Europe — les avantages du marché unique», adopté lors de sa session plénière de juillet. L’avis a été élaboré en réponse à une demande spécifique de la présidence tchèque de l’UE, qui a fait de l’approfondissement du marché unique l’une de ses priorités. Les conclusions du CESE sont les suivantes:

Quelles sont les incidences macroéconomiques réelles du marché unique?

À la veille de son trentième anniversaire, le marché intérieur demeure incomplet. En effet, au cours des crises récentes, qu’il s’agisse de la pandémie de COVID-19 ou des conséquences de l’agression russe contre l’Ukraine, il s’est parfois dangereusement retrouvé au bord de l’effondrement.

Cependant, il ne fait aucun doute qu’une suppression même incomplète des obstacles à la circulation des biens, des services, des capitaux et des personnes constitue une source de croissance économique et une mesure de cohésion économique et sociale. Mais pour que l’économie de l’UE soit compétitive et résiliente dans le monde actuel, les obstacles qui subsistent doivent disparaître.

Quels avantages présente un approfondissement plus poussé et sur quels secteurs l’UE devrait-elle se concentrer ?

L’un des moyens de répondre à cette question est d’examiner les coûts ou l’absence de bénéfices d’un marché unique incomplet.

En 2019, la fragmentation a coûté 990 milliards d’euros à l’UE. La suppression de la moitié des obstacles à la libre circulation des services apporterait 279 milliards d’euros par an à notre PIB collectif, tandis qu’une réduction de 80 % de ces obstacles générerait 457 milliards d’euros supplémentaires. En ce qui concerne la circulation des marchandises, le démantèlement des obstacles restants permettrait de gagner chaque année entre 228 et 372 milliards d’euros supplémentaires.

S’il est pleinement intégré, le marché unique numérique contribuerait à hauteur de 415 milliards d’euros par an à l’économie de l’UE et créerait des centaines de milliers de nouveaux emplois, tandis qu’une transition complète vers la passation électronique des marchés publics pourrait générer entre 50 et 75 milliards d’euros par an.

«Tous ces chiffres mettent en évidence les importants avantages économiques (et les avantages sociaux connexes) que pourrait apporter un marché unique plus complet», souligne Philip Von Brockdorff, auteur du rapport du CESE. Autrement dit, ils représentent le coût économique total de la non-Europe, c’est-à-dire la perte de valeur ajoutée et de bien public collectif qu’elle entraîne.

Quels sont les principaux obstacles au marché unique ?

Un certain nombre d’obstacles qui persistent sont dus à une application incorrecte ou incomplète de la législation de l’UE et de la mise en œuvre, par certains États membres, de règles nationales techniques allant à l’encontre des objectifs du marché unique.

Si, sur le papier, environ 82 % des produits commercialisés dans le marché unique sont soumis à des règles harmonisées et 18 % relèvent de la reconnaissance mutuelle (en vertu de laquelle tout bien vendu légalement dans un pays de l’UE peut être vendu dans un autre pays de l’UE même s’il n’est pas pleinement conforme aux règles techniques de ce dernier), le fait est que 71 % des PME qui ont demandé la reconnaissance mutuelle pour des biens non harmonisés se sont vu refuser l’accès au marché.

Il existe également de nombreux cas de «surréglementation»; les États membres ajoutent alors un certain nombre d’obligations supplémentaires lors de la transposition d’une directive de l’UE en droit national.

Un autre sujet de préoccupation concerne les mesures nationales qui anticipent la réglementation de l’UE prévue, telles que la certification nationale, en particulier dans le secteur agroalimentaire. De l’avis du Comité, ces restrictions sont purement protectionnistes, mais lorsqu’elles sont mises en évidence, leur retrait est souvent lent et fastidieux et les restrictions imposées aux détaillants restent en vigueur pendant bien trop longtemps.

Les procédures d’infraction sont longues et coûteuses, et leur issue est incertaine. Les entreprises sont ainsi dissuadées de se développer ou d’investir ailleurs dans l’UE. Pour les consommateurs, cela signifie plusieurs types de perte: moins de choix, une qualité du service moindre et une pression moins marquée sur les prix.

Malgré les dispositions adoptées en 2018 sur le blocage géographique, des contraintes territoriales en matière d’approvisionnement persistent en Europe, sous diverses formes telles que le refus de fournir des produits ou la menace de cesser d’approvisionner un distributeur particulier, la limitation des quantités disponibles pour la vente dans les différents États membres, des différences inexplicables entre les gammes de produits et les prix entre les États membres et la limitation des options linguistiques pour l’emballage du produit.

Une autre faiblesse réside dans l’union des marchés des capitaux (UMC), qui reste un objectif lointain, les épargnants et les investisseurs européens dépendant fortement des environnements nationaux.

Enfin, les données indiquent que la mobilité tant entre les pays qu’à l’intérieur de ceux-ci demeure faible dans l’UE. Cela se traduit par une offre de main-d’œuvre insuffisante et des inadéquations dans des secteurs tels que les technologies de l’information et les industries de haute technologie.

... Et comment les lever ?

«Comment pouvons-nous y remédier? Est-ce une question de financement? Pas vraiment. En avril dernier, le Conseil a obtenu un budget de 4 milliards d’euros pour mettre fin à la fragmentation et réduire les coûts liés à cette question», déclare Emilie Prouzet, corapporteure du CESE. «Voilà qui est très paradoxal: nous créons un budget au Conseil pour inciter ceux qui sont à l’origine des fragmentations à ne plus fragmenter. Notification, recours au règlement, harmonisation maximale, …. nous avons les outils pour faire fonctionner le marché unique et réduire le coût de la non-Europe».

Dans son rapport, le CESE recommande les actions suivantes:

  • Utiliser plus efficacement les outils existants. Les textes juridiques nationaux susceptibles d’entraver le marché intérieur doivent être notifiés à la Commission européenne, commentés et évalués avant leur adoption. En l’absence d’un tel engagement de la part des États membres, les procédures en place resteront inopérantes. La Commission, quant à elle, doit assurer une surveillance du marché plus efficace afin de favoriser l’harmonisation entre les États membres.
  • Coopération renforcée. Au lieu de recourir à des mesures nationales restrictives telles que la certification, le CESE estime que les États membres devraient opter pour une «coopération renforcée», en permettant aux États membres qui le souhaitent de partager les mêmes règles relatives aux produits et aux services.
  • Semestre européen. Dans le cadre du Semestre européen, la Commission pourrait envisager de suspendre les financements de l’Union en faveur des pays qui ne respectent pas les recommandations spécifiques qu’elle leur adresse dans ce domaine.
  • La politique de concurrence pour s’attaquer aux contraintes territoriales en matière d’approvisionnement. Il est préférable de remédier aux contraintes d’approvisionnement liées à la guerre en Ukraine, en particulier pour les produits de base tels que les céréales, en s’appuyant davantage sur des stratégies conjointes de passation de marchés et de production. L’achat conjoint de gaz en est un bon exemple.
  • Infraction. La Commission devrait appliquer plus vigoureusement les procédures d’infraction.
  • Mesures d’incitation à la mobilité. Le CESE recommande des mesures de politique nationale prévoyant une incitation à la mobilité, avec des politiques actives du marché du travail telles que les prestations liées à l’emploi et les pays d’accueil offrant des incitations financières aux demandeurs d’emploi d’autres États membres.

Enfin, le CESE affirme qu’une volonté politique forte est nécessaire pour redoubler d’efforts afin de supprimer toutes ces restrictions.

Pour en savoir plus: Lire l’avis du CESE sur «Le coût de la non-Europe — les avantages du marché unique»

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