Les maladies rares touchent des millions de personnes: il est grand temps de renforcer la solidarité avec les patients qui en sont atteints

This page is also available in

Ces maladies dites rares touchent malgré tout jusqu’à 36 millions de personnes au sein de l’Union européenne. En dépit des progrès de la recherche et de l’échange de bonnes pratiques, l’Europe manque toujours à ses obligations envers les patients atteints de maladies rares, et ce, à de nombreux égards.

Au cours des vingt dernières années, l’Union européenne a certes effectué des progrès assez remarquables en matière de connaissances ou d’échange d’informations sur les maladies rares, mais les patients atteints de ces maladies qui ne reçoivent pas de soins médicaux ou psychosociaux adéquats sont encore nombreux. La pénurie de traitements disponibles, le coût inabordable des médicaments et l’incapacité à fournir une aide psychologique en temps utile nuisent gravement à la qualité de vie des patients atteints de maladies rares et de leurs familles, les laissant souvent livrés à eux-mêmes.

Afin d’examiner la situation de ces patients et d’étudier les moyens de renforcer la solidarité européenne pour les aider, le CESE a organisé le 1er septembre une audition publique intitulée Garantir une solidarité européenne forte pour les patients atteints de maladies rares.

L’audition a réuni des membres du CESE, des représentants de la Commission, de gouvernements et du secteur de la santé, des organisations de patients et des partenaires sociaux dans le but de recueillir des contributions pour l’avis que le CESE prépare actuellement sur le sujet.

Elle a permis de présenter trois points de vue différents sur les maladies rares: celui des associations de patients et des réseaux qui les aident au quotidien, celui des représentants politiques et celui des professionnels de la santé. Comme l’a souligné Alain Coheur, le rapporteur de l’avis, en ouvrant le débat, la politique de l’Union européenne s’est jusqu’à présent concentrée sur l’échange d’informations et de bonnes pratiques dans le domaine médical; afin d’atteindre une véritable solidarité, nous devons discuter de l’accès aux traitements et de leur prix.

 Ces maladies ont beau être rares, elles touchent de nombreux patients, a déclaré Dorica Dan, présidente de l’Association roumaine du syndrome de Prader-Willi et de l’Alliance nationale roumaine pour les maladies rares. Rien qu’en Roumanie, un million de personnes souffrent d’une forme de maladie rare. Si on y ajoute leurs familles, cela représente environ 20 % de la population du pays.

Les patients sont confrontés à d’immenses problèmes tels que des infrastructures de soins inadéquates, des retards dans l’accès aux traitements, des mauvais diagnostics ou encore des décès prématurés. Le délai d’attente pour recevoir un diagnostic peut être supérieur à cinq ans et 40 % des patients ont été mal diagnostiqués au moins une fois.

La mise en place d’un système de soins intégré et efficace pour les patients atteints de maladies rares en Europe nécessite beaucoup d’efforts, de temps et de solidarité, a déclaré Mme Dan, ajoutant que les soins reçus varient considérablement en fonction du pays, les plus petits ou ceux d’Europe orientale accusant un retard par rapport à d’autres, comme l’Allemagne. Les conditions des personnes vivant dans des zones rurales ou défavorisées sont particulièrement difficiles.

Nous sommes censés avoir les mêmes droits, mais nous vivons des réalités différentes, a souligné Mme Dan. Elle a fait observer que, grâce aux efforts déployés par les associations de patients et à l’action de l’Union européenne, la situation s’améliore lentement en Roumanie. Des projets sont en cours pour inclure davantage de maladies dans le dépistage néonatal et pour mettre à jour la liste des traitements innovants.

Toutefois, malgré les améliorations considérables apportées par la législation européenne, de nouvelles politiques sont nécessaires.

Selon Simone Boselli, directeur des affaires publiques d’Eurordis, seuls 6 % de toutes les maladies rares bénéficient d’un traitement spécifique. M. Boselli estime que les politiques actuelles ne sont pas en phase avec l’évolution de la situation: Aujourd’hui, les maladies rares ne font l’objet d’aucune stratégie globale.

Eurordis a donc recommandé la création d’un nouveau cadre d’action européen axé sur les besoins des personnes atteintes d’une maladie rare, afin d’orienter la mise en œuvre de plans et de stratégies cohérents au niveau national.

L’IMPORTANCE DES DONNÉES

Un autre obstacle réside dans le manque de données pertinentes. Étant donné que 89,1 % des maladies rares ont une prévalence inférieure à 1 pour 100 000, et que 53 % d’entre elles sont très rares, aucun pays ne peut atteindre la masse critique de données nécessaires pour développer les connaissances, d’où l’importance de la coopération au sein de l’Union européenne et au niveau mondial.

L’amélioration de la codification des maladies rares est une priorité européenne depuis la recommandation du Conseil de 2009. Elle est essentielle pour augmenter la visibilité des maladies rares, a fait remarquer Sylvie Maiella, coordinatrice internationale à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm, France) et responsable de la coopération internationale du réseau Orphanet.

Orphanet est un portail d’information et de connaissances sur les maladies rares, qui comprend une encyclopédie et une base de données de ressources spécialisées. Subventionné par la Commission européenne, le réseau s’est progressivement transformé en un consortium de 40 pays, répartis en Europe et à travers le monde. Il entretient également la nomenclature d’Orphanet sur les maladies rares (code ORPHA), le seul système de classification qui reprend toutes les maladies rares connues, en leur attribuant un code spécifique.

Une autre priorité de la politique européenne en matière de santé est la création d’un espace européen des données de santé (EHDS).

Irène Kesisoglou, de l’institut belge Sciensano, a présenté le projet pilote sur l’EHDS pour l’utilisation secondaire des données de santé, qui doit servir de banc d’essai afin d’évaluer l’accès aux données relatives aux maladies rares dans toute l’Europe. Il pourrait étudier des stratégies applicables aux données de certaines maladies rares, pour faire en sorte que ces informations soient plus faciles à trouver et à comparer, dans le but d’analyser les parcours de soins dans les différents États membres de l’Union.

LA MISE EN COMMUN DE NOS CONNAISSANCES

Lors de la deuxième table ronde, les maladies rares ont été examinées du point de vue politique.

Soulignant que l’élaboration d’une stratégie concernant les maladies rares figure parmi les priorités de la présidence tchèque, Jakub Dvořáček, vice-ministre tchèque de la santé, a déclaré: Concernant les maladies rares, nous nous efforçons de mettre en place une stratégie coordonnée et intégrée, tant au niveau national que régional, qui réponde mieux aux besoins actuellement insatisfaits en fixant des objectifs significatifs pour les patients, les familles et la société dans son ensemble.

Martin Dorazil, de la Commission européenne, a évoqué l’avenir des réseaux européens de référence, qui relient virtuellement des centres d’experts hautement spécialisés dans toute l’Union européenne et dont l’objectif principal est de mettre en commun l’expertise actuellement dispersée en raison de la faible prévalence des maladies rares ou de leur complexité.

Il convient cependant de mieux les intégrer dans les systèmes de santé nationaux afin de rendre leur expertise accessible aux patients et aux professionnels de la santé aux niveaux régional et local.

LES MÉDICAMENTS ORPHELINS — UN PRIX EXORBITANT ET PEU JUSTIFIÉ

Outre l’absence de traitements appropriés, l’un des principaux obstacles à la fourniture de soins adéquats aux patients atteints de maladies rares est le prix exorbitant de nombreux médicaments et traitements.

Monica Povedano, cheffe du département de neurophysiologie et professeure chargée du cours de troisième cycle sur l’électromyographie et les troubles neuromusculaires à l’université de Barcelone, a souligné l’importance d’un dépistage génétique aussi précoce que possible pour les patients atteints de maladies rares, car cela permet de fournir un traitement et des conseils génétiques opportuns, voire préventifs.

En outre, les difficultés liées au prix et à la disponibilité des médicaments nécessaires sont multiples. Les nouveaux médicaments orphelins doivent être approuvés par l’Agence européenne des médicaments et par d’autres agences de régulation dans différents États membres, ce qui signifie que la situation varie d’un pays à l’autre. En outre, l’industrie pharmaceutique n’est pas forcément intéressée par des investissements dans des médicaments orphelins inédits. Tous les médicaments orphelins ne sont toutefois pas nouveaux et onéreux à développer.

En Belgique, les patients peuvent recourir en dernier ressort au Fonds spécial de solidarité, présenté lors de l’audition par Bert Winnen, président du collège des médecins-directeurs de l’Institut national d’assurance maladie-invalidité (INAMI).

Pour obtenir une intervention du Fonds, doté d’un budget annuel de 8 milliards d’EUR, les patients doivent prouver qu’ils ont épuisé l’ensemble des autres moyens d’intervention ou possibilités de financement, y compris le financement participatif. Le traitement doit revêtir une importance vitale et avoir franchi la phase expérimentale.

Le Fonds reçoit souvent des demandes de médicaments non approuvés et les montants qu’il est appelé à couvrir sont parfois très élevés, allant de 250 EUR à 22 millions d’EUR, puisque les médicaments orphelins ne relèvent souvent pas du champ d’application des systèmes de remboursement classiques.

Selon Anne Hendrickx, de Solidaris, ces prix si élevés qui sont fixés par les entreprises pharmaceutiques ne sont bien souvent pas justifiés. Étant donné que la recherche et le développement pour les médicaments orphelins nécessitent moins de patients, leurs coûts de production sont largement plus bas, ne représentant que 23,4 % de ceux de leurs équivalents non orphelins. Parallèlement, ils font toujours partie des médicaments les plus vendus dans le monde, pour un total oscillant entre 5,2 et 14,1 milliards de dollars américains (USD) en 2015.

Mme Hendrickx a présenté le calculateur de juste tarification élaboré par l’Association internationale de la mutualité (AIM), qui tient compte de plusieurs facteurs, tels que le nombre de patients, les frais généraux, les ventes et le bénéfice, pour calculer la juste tarification européenne d’un médicament ou d’un traitement. Dans le cas du Spinraza, un médicament indiqué pour le traitement de l’amyotrophie spinale progressive, le modèle fixe cette tarification à 10 000 EUR. En Belgique, il coûte environ 270 000 EUR, soit 27 fois plus.

Nous devons unir nos forces pour tenter de rétablir l’équilibre entre l’industrie et l’intérêt des patients, a-t-elle conclu.