La transparence est nécessaire à la bonne attribution des fonds de relance de l’Union

Avec des plans de relance dotés de plusieurs milliards d’euros et peu de temps pour les présenter et les examiner, il sera essentiel de faire en sorte que les autorités rendent des comptes quant à la gestion des fonds afin de garantir une reprise fondée sur les droits fondamentaux et l’état de droit.

Le 9 mars dernier, le Comité économique et social européen (CESE) a organisé une audition publique en ligne pour aborder les difficultés relatives à la mise en œuvre de la facilité pour la reprise et la résilience (FRR) de manière à protéger les droits fondamentaux et l’état de droit.

La FRR, le grand plan de l’UE d’une portée historique constitué de subventions et de prêts pour un montant de 672,5 milliards d’euros, entend aider l’Union européenne à reconstruire ses économies après la crise de la COVID-19.

Toutefois, nombreux sont ceux qui se préoccupent de la manière de s’assurer que cette somme sans précédent destinée à la relance soit utilisée de façon totalement transparente et que ces fonds ne soient pas mal gérés au service d’intérêts politiques ou privés plutôt que pour le bien commun.

En outre, afin d’entamer la relance aussi vite que possible, les institutions de l’Union se voient imposer des délais très serrés pour approuver les plans nationaux pour la reprise et la résilience (PNR-R) des États membres, ce qui leur laissera peu de temps pour les examiner comme il se doit.

Une surveillance accrue et des mesures de suivi plus efficaces seront essentielles pour garantir une reprise post-COVID-19 fondée sur l’état de droit, la société civile faisant office de gardienne en complément de la supervision assurée par les institutions. Lors de l’audition, les intervenants ont également convenu qu’un dialogue social solide, associant activement les partenaires sociaux et d’autres parties prenantes, constituait un élément indispensable du processus d’élaboration et de mise en œuvre des PNR-R.

La COVID-19 a occasionné un véritable traumatisme pour nos sociétés. La transparence est nécessaire à la relance et au renforcement de la résilience, en particulier dans le contexte du programme Next Generation EU, qui permettra de rendre l’Union plus solide et plus résiliente au sortir de la crise de la COVID-19, a déclaré Cristian Pîrvulescu, président du groupe Droits fondamentaux et état de droit (DFED) du CESE.

Toutefois, protéger le budget de l’Union contre une mauvaise gestion résultant du non-respect de l’état de droit au cours de la phase de mise en œuvre pourrait s’avérer plus difficile ou complexe que l’on ne pense.

À la suite de rudes négociations au sein du Conseil de l’UE fin 2020, il a été convenu de doter la FRR d’une clause de conditionnalité, laquelle subordonne le déblocage des fonds au respect de l’état de droit. Le règlement sur la FRR est entré en vigueur en février 2021.

Javier Doz Orrit, président du groupe ad hoc Semestre européen du CESE, a indiqué que l’inclusion de cette clause de conditionnalité établissait un lien important entre le programme Next Generation EU et l’état de droit, et qu’une procédure de conditionnalité avait finalement été introduite malgré la pression de dernière minute de la part de certains gouvernements.

Ce n’est pas la meilleure solution possible, mais elle suffit à rappeler à l’ensemble des responsables politiques et des autorités que le respect des principes démocratiques et de l’état de droit est une condition inhérente à l’appartenance à l’Union, a déclaré M. Doz Orrit.

Éva Török, membre de la task force de la Commission européenne pour la reprise et la résilience, a noté que la Commission avait une bonne vue d’ensemble des actions prévues par les États membres. Ils sont notamment tenus, avant de recevoir les fonds, de prévoir des cibles et des étapes intermédiaires dans leurs plans d’investissements et de réformes, mais aussi d’expliquer dans quelle mesure chacune de leurs actions respecte le principe ne pas causer de préjudice important décrit dans le règlement concerné.

Toutefois, l’introduction d’une procédure de conditionnalité n’a pas dissipé toutes les craintes. Selon Päivi Leino-Sandberg, professeure de droit européen transnational à l’Université d’Helsinki, la FRR repose sur une base juridique très fragile, puisqu’elle s’appuie sur des critères très larges et peu précis. Dès lors, la mise en œuvre des règles de financement devient un exercice hautement politique, car un large pouvoir d’appréciation sera laissé aux États membres dans le cas où ils décideraient de contester un refus de leur allouer des fonds.

Il ne fait aucun doute que la responsabilité incombe aux autorités nationales. Il importe de les motiver suffisamment en ce sens. En outre, la société civile devrait examiner de très près les propositions, exiger la transparence et inviter les autorités à rendre des comptes, tant en ce qui concerne leurs desseins que l’objet de leurs dépenses, a déclaré Mme Leino-Sandberg.

PRÉVENIR LA CORRUPTION GRÂCE À UNE SURVEILLANCE OUVERTE ET PARTICIPATIVE DE LA PART DE LA SOCIÉTÉ CIVILE

Karina Carvalho, directrice exécutive de la branche portugaise de Transparency International, a affirmé qu’une dotation de fonds d’un montant aussi considérable dans la cadre de la FRR, couplée à la nécessité de dépenser ces sommes rapidement, augmentait fortement le risque de fraude et de corruption.

La corruption détourne non seulement l’argent des contribuables des investissements qui favorisent le développement durable, mais elle a également une incidence sur les droits fondamentaux et l’état de droit, a ajouté Mme Carvalho. Elle estime que cette situation constitue à présent l’occasion idéale de compléter les systèmes de contrôle existants par une surveillance ouverte et participative de la part de la société civile, sur le modèle des pactes d’intégrité.

Les pactes d’intégrité sont un mécanisme de suivi en temps réel des procédures de passation de marchés publics, lesquelles demeurent le principal instrument de distribution et d’investissement des fonds de l’Union. Ces procédures sont également l’un des vecteurs les plus fréquents de corruption: on estime que l’Union européenne et ses citoyens perdent environ 5 milliards d’euros par an en raison de contrats entachés de corruption.

Parmi les autres mesures de contrôle figurent l’octroi de ressources adéquates au Parquet européen récemment créé, d’autres mécanismes de surveillance externes et indépendants, ainsi que l’échange rapide et précis d’informations relatives à tous les aspects de l’utilisation des budgets et des fonds de l’UE, a déclaré Mme Carvalho.

LA PARTICIPATION DES PARTENAIRES SOCIAUX EST ESSENTIELLE

Dans sa résolution sur les plans nationaux pour la reprise et la résilience adoptée le mois dernier et présentée lors de l’audition par M. Doz Orrit, le CESE indique que les PNR-R gagneraient en efficience et en efficacité si les organisations de la société civile y étaient associées plus tôt et de façon plus approfondie. Dans cette même résolution, le Comité tient aussi pour essentiel de veiller à la bonne gouvernance, d’être vigilant face à la corruption dans la gestion des fonds et d’assurer la responsabilité devant des instances démocratiques.

Le dialogue social et civique revêt une importance particulière pour veiller à ce que les investissements soient effectués correctement, mais aussi pour prévenir la corruption. En effet, il est question d’injecter, dans un délai relativement court, plusieurs milliards d’euros dans l’économie de l’Union, a souligné M. Doz Orrit. Le règlement de l’Union européenne sur la FRR prévoit la participation obligatoire des partenaires sociaux aux plans nationaux pour la reprise et la résilience. Toutefois, pour M. Doz Orrit, le respect de cette clause est jusqu’à présent clairement insuffisant dans la plupart des États membres.

Selon Mme Török, la Commission vérifie que les États membres consultent effectivement les partenaires sociaux et autres parties prenantes. Ils seront tenus de fournir un compte rendu de ces consultations et d’exposer dans quelle mesure ils tiendront compte des avis des différentes parties prenantes dans leurs plans de relance.

Seul un degré suffisant d’appropriation nationale pourra garantir le succès de ces réformes et investissements; c’est pourquoi la Commission a encouragé les États membres à associer d’emblée les parties prenantes à la conception et à la mise en œuvre des réformes. La Commission a fait état de certaines améliorations et a pu constater que des consultations avaient lieu dans des États membres.

Gerhard Huemer, directeur de la politique économique et fiscale de SMEunited, a indiqué que les organisations représentant les PME avaient formulé leurs propres suggestions concernant les PNR-R et avaient été en contact avec les autorités, mais qu’en fin de compte, elles avaient simplement été informées des décisions du gouvernement.

On peut difficilement parler de consultation, au sens où les gouvernements demanderaient ou essaieraient véritablement de nouer des compromis ou des accords avec les partenaires sociaux. Dans de nombreux cas, aucune proposition n’a encore été mise sur la table, et nous insistons pour être davantage associés aux discussions, a conclu M. Huemer.

Isabelle Schömann, secrétaire confédérale de la Confédération européenne des syndicats (CES), a marqué son accord avec les propos de M. Huemer. La plupart du temps, nous nous estimons déjà heureux d’être informés, sans même parler de consultation, a-t-elle affirmé, avant de souligner qu’il devrait en être autrement.

Les leçons tirées de la crise financière de 2008 et de la pandémie actuelle nous démontrent clairement que lorsque les partenaires sociaux sont associés au développement des plans et des politiques aux niveaux national et sectoriel, la relance s’avère nettement plus durable et assure un avenir meilleur aux travailleurs et à la société dans son ensemble, a ajouté Mme Schömann.

Pourtant, l’Union européenne est fermement convaincue que la reconstruction de l’Europe doit être basée sur les droits fondamentaux et l’état de droit, de manière à ce que personne ne soit laissé pour compte. En février, le Conseil a adopté des conclusions sur la nécessité de fonder le processus de relance post-COVID-19 sur le respect des droits de l’homme.

Ces conclusions ont été présentées par Margarida Teixeira Araújo, membre de la représentation permanente du Portugal auprès de l’UE, qui a déclaré: La COVID-19 est un signal d’alarme qui nous rappelle l’importance d’une Union européenne soudée et la nécessité de maintenir les droits de l’homme à l’ordre du jour.

Contexte

L’audition sur les droits fondamentaux, l’état de droit et la relance post-COVID-19 a réuni des représentants des institutions européennes, des gouvernements et des établissements universitaires, ainsi que des partenaires sociaux et des organisations de la société civile. Elle a été organisée par le groupe Droits fondamentaux et état de droit du CESE (groupe DFED), créé en 2018 pour surveiller les évolutions observées dans les États membres en matière de droits fondamentaux et d’état de droit.

Un résumé de l’audition sera disponible sur la page consacrée à l’événement.

En décembre 2020, le groupe DFED a tenu une audition intitulée COVID-19: Atténuer les conséquences et surmonter la crise. Celle-ci était axée sur l’incidence de la crise de la COVID-19 pour les employeurs, les travailleurs et les organisations de la société civile, ainsi que sur la réponse apportée par l’UE, sous l’angle de l’état de droit et des droits fondamentaux.