La mobilité de la main-d’œuvre ne devrait pas être une solution à court terme pour pallier les pénuries de travailleurs

The brains leave the city with their luggage. (Used clipping mask)

Si elle est correctement mise en œuvre, la mobilité des travailleurs au sein de l’UE peut apporter la prospérité économique et enrichir notre société

La mobilité de la main-d’œuvre peut stimuler la reprise économique et la croissance de l’UE en compensant les pénuries de main-d’œuvre sur les marchés de l’emploi européens. Toutefois, il existe de nombreux obstacles à la libre circulation des travailleurs, allant de l’insuffisance des droits sociaux ou des droits du travail à la faible transférabilité des compétences entre les États membres, comme l’a révélé une audition du CESE.

L’audition sur le thème Accroître la mobilité de la main-d’œuvre pour soutenir la reprise économique a réuni des représentants des institutions de l’UE, de l’Autorité européenne du travail (AET), du monde universitaire et des organisations de la société civile. Son objectif était de recueillir des contributions pour l’avis d’initiative du CESE en cours d’élaboration sur la mobilité de la main-d’œuvre, qui sera soumis au vote lors de la session plénière d’octobre du CESE.

L’UE a beaucoup à gagner à ce que des personnes se déplacent d’un État membre à un autre. Mais la mobilité de la main-d’œuvre est actuellement victime d’une approche fragmentaire. C’est pourquoi nous avons besoin de politiques de mobilité de la main-d’œuvre plus unifiées; nous avons besoin d’incitations et d’une meilleure application des règlements existants, a déclaré Philip von Brockdorff, rapporteur de l’avis.

Selon les participants à l’audition, la mobilité de la main-d’œuvre au sein de l’Union européenne est actuellement mise à mal par un certain nombre de problèmes, tels que le manque de coordination de la sécurité sociale entre les États membres, qui fait que de nombreux travailleurs bénéficient d’une protection sociale insuffisante une fois qu’ils se déplacent, en particulier dans le cas des travailleurs ayant des contrats de travail atypiques.

Il convient également de renforcer les incitations fiscales ainsi que le mécanisme de reconnaissance mutuelle des qualifications des travailleurs.

Un autre problème est la fuite des cerveaux, qui, lorsqu’elle est persistante, peut avoir de graves répercussions sur la croissance économique, car elle vide en réalité des régions entières de leur population jeune et instruite.

En outre, les projections démographiques récentes indiquent que le vieillissement des sociétés et la baisse des taux de natalité entraîneront une diminution de la main-d’œuvre et une aggravation des pénuries de travailleurs et de compétences. Il est donc très probable que la mobilité au sein de l’UE elle-même ne suffira pas à combler ces lacunes.

Il devient donc nécessaire d’attirer des travailleurs de pays tiers sur les marchés du travail de l’UE, ce qui crée déjà une discrimination, étant donné qu’ils ne jouissent souvent pas des mêmes droits que les citoyens de l’UE.

Lors de la première table ronde de l’audition, consacrée à l’état de la situation au niveau de l’UE, le député européen Radan Kanev a déclaré que le Parlement européen partage le point de vue du CESE selon lequel il n’est pas nécessaire d’adopter de nouvelles réglementations détaillées, étant donné que les règles déjà en place ne sont pas correctement mises en œuvre et qu’il y a un manque important de coordination entre les États membres.

Il a cité l’exemple du règlement sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, qui est toujours en cours d’examen dans le cadre des trilogues et qui, devenu obsolète, devrait maintenant être révisé. Par ailleurs, la proposition de la Commission relative à un numéro de sécurité sociale européen est en train d’être vidée de sa substance, puisqu’il est question désormais d’un portefeuille de sécurité sociale. Disposer d’un identifiant clair au niveau de l’UE est l’une des principales clés de la numérisation et de la mobilité de la main-d’œuvre, a souligné M. Kanev.

Le dernier rapport annuel de l’AET sur les pénuries et les excédents de main-d’œuvre en Europe, présenté lors de l’audition par son directeur exécutif, Cosmin Boiangiu, a montré qu’il y a une pénurie de travailleurs dans les professions liées aux soins de santé et aux logiciels. Il a également constaté que les transitions écologique et numérique induisent des manques structurels.

Selon M. Boiangiu, les travailleurs devraient être pleinement informés des perspectives d’emploi dans d’autres pays afin de pouvoir faire en connaissance de cause des choix qui engagent leur vie.

Quel que soit leur choix, les droits du travail qui sont les leurs doivent être pleinement appliqués, a-t-il déclaré, ajoutant que l’AET constatait une tendance croissante au retour des travailleurs dans leur pays d’origine.

Comprendre la mobilité de la main-d’œuvre

Selon les chiffres présentés lors de l’audition, 13 millions d’Européens sont des travailleurs mobiles actifs, ce qui représente 4,2 % de la main-d’œuvre totale de l’Europe. Ce sont de loin les jeunes âgés de 18 à 35 ans qui migrent le plus et, dans tous les groupes d’âge, les personnes ayant un niveau d’éducation plus élevé sont davantage mobiles. Par ailleurs, la mobilité des travailleurs hautement qualifiés est, dans une large mesure, temporaire. Ses motivations sont variées, et pas seulement financières.

La mobilité telle qu’elle a lieu au sein de l’UE est un phénomène unique au monde, et il n’existe pas de véritables points de référence pour juger de son succès, a déclaré Wido Geis-Thöne, économiste principal pour les questions de politique familiale et de migration à l’Institut de recherche économique de Cologne (Institut der deutschen Wirtschaft — IW Köln). Il a expliqué que les migrations à l’échelle de l’UE peuvent ressembler à la migration interne au sein d’un même pays, mais que ce sont aussi deux réalités fondamentalement distinctes, notamment en raison des différences de langue.

Les mesures visant à promouvoir la mobilité devraient être axées sur les motivations et les contextes de la migration et viser à supprimer les obstacles, en mettant l’accent sur les barrières linguistiques, a précisé M. Geis-Thöne.

Mehtap Akgüç, chercheur confirmé à l’Institut syndical européen (ETUI), a indiqué qu’un travailleur mobile sur trois est hautement qualifié. Deux travailleurs mobiles sur trois retournent dans leur pays d’origine. Les principaux pays d’émigration des travailleurs sont la Roumanie, la Pologne, l’Italie, le Portugal et la Bulgarie, tandis que les principales destinations sont l’Allemagne, l’Espagne, l’Italie, la France et le Royaume-Uni.

Des études montrent les avantages de la mobilité de la main-d’œuvre pour la prospérité économique et l’innovation. Au niveau microéconomique, la diversité accroît la connaissance et l’innovation, a déclaré M. Akgüç.

Pour faciliter la mobilité de la main-d’œuvre dans l’UE, il faut surmonter les obstacles bureaucratiques, culturels et linguistiques et coordonner les compétences nécessaires sur les marchés du travail, d’une part, et dans l’éducation et la formation, d’autre part. Il est également essentiel de mettre en place des dispositifs de prise en charge des enfants et des personnes âgées et de sensibiliser davantage aux droits sociaux et du travail. Il est primordial de protéger les groupes de migrants vulnérables.

Katharina Wiese, du Bureau européen de l’environnement, souligne la nécessité de sortir de l’immobilisme sans fin d’un système économique dépendant de la croissance du PIB pour créer des emplois, ce qui nuit aux conditions de travail et à la qualité des emplois, ainsi qu’à l’environnement et à notre bien-être. Il convient plutôt de mettre l’accent sur la productivité du travail.

La main-d’œuvre n’est pas une marchandise

Pour Claes-Mikael Ståhl, secrétaire générale adjoint de la Confédération européenne des syndicats (CES), la mobilité de la main-d’œuvre devrait résulter d’une liberté de choix, et non être le résultat d’un manque de perspectives ou une solution rapide pour remédier aux pénuries de main-d’œuvre. Les emplois de mauvaise qualité ne devraient jamais être donnés systématiquement aux travailleurs migrants. Tous doivent avoir accès à des emplois décents et à des salaires décents.

Raluca Radescu, de la Confédération européenne des syndicats indépendants (CESI), a évoqué l’inadéquation considérable entre les exigences du marché du travail et les compétences des travailleurs. Quelque 70 % des entreprises de l’UE peinent actuellement à trouver les bons candidats pour leurs postes.

Elle a mis en garde contre le fait que les ressortissants de pays tiers, à niveau égal de qualification, sont souvent recrutés et payés sur des bases inférieures. Nous ne devons pas laisser de place aux abus et à l’exploitation, a-t-elle souligné.

Maja Kluger Dionigi, de la Confédération des employeurs danois, a donné l’exemple de la grande région de Copenhague où, sur 4,3 millions d’habitants, 17 000 sont des navetteurs quotidiens, dont 9 sur 10 se rendent de la Suède au Danemark. Selon elle, la région peut servir de modèle de rôle pour les régions frontalières, en ce qui concerne la manière dont l’aide régionale transfrontalière peut être mise en œuvre.

L’une des conditions préalables est la mise en place d’infrastructures de transport rapides et peu coûteuses, mais aussi d’une structure de gouvernance régionale pour faire face aux éventuels obstacles à la libre circulation, tels que ceux liés à la coordination des aides sociales et à la fiscalité. Des fonctionnaires du sud de la Suède et du Danemark ont mis en place un guichet unique pour fournir un large éventail d’informations aux travailleurs frontaliers.

Toutefois, dans l’ensemble, la mobilité est encore assez faible dans l’UE, et le potentiel de résorption des pénuries de main-d’œuvre grâce à des excédents venus d’autres pays est limité.

La pénurie de main-d’œuvre est un problème complexe et transversal lié aux régions et aux politiques de l’UE. Il est essentiel d’identifier les facteurs des différents types de pénuries. Nous avons besoin d’une approche globale et complémentaire de la mobilité de la main-d’œuvre, a conclu Mme Kluger Dionigi.