La montée de la haine dans toute l’Europe, qu’elle s’exprime en ligne ou hors ligne, démontre la nécessité de s’attaquer aux discours et aux crimes de haine à l’échelon de l’Union européenne — telle est la conclusion d’une audition du CESE.
Le 30 mars dernier, le CESE a tenu une audition publique pour débattre de la proposition de la Commission européenne d’étendre la liste des infractions de l’Union prévue à l’article 83, paragraphe 1, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, afin d’y inclure toutes les formes de discours de haine et de crimes de haine.
L’intensification de ces deux phénomènes en Europe aux cours des dernières années est liée à la médiatisation accrue du débat politique et à l’essor des campagnes de désinformation, a fait valoir José Antonio Moreno Díaz, membre du CESE et président de son groupe d’étude qui élabore un avis sur la proposition de la Commission.
Les groupes politiques extrémistes compromettent la bonne santé de notre démocratie. L’Europe connaît actuellement une montée de la haine. La société civile nous en a averti, et la récente expérience de la pandémie de COVID-19 l’a confirmé
a expliqué M. Moreno Díaz. Les discours et les crimes de haine ne visent pas seulement leur victime directe mais aussi le groupe auquel celle-ci appartient, entraînant ainsi une érosion de la culture, des droits fondamentaux et des bases mêmes de la société.
Les traités européens ne prévoient pas de base légale pour poursuivre et sanctionner pénalement à l’échelon de l’Union les discours et les crimes de haine. Ceux-ci ne peuvent l’être qu’en vertu de la décision-cadre sur la lutte contre le racisme et la xénophobie. C’est pourquoi la Commission européenne propose d’étendre la liste déjà établie d’infractions de l’Union pour les y inclure. Ingrid Bellander Todino, de la direction générale de la justice et des consommateurs de la Commission, a insisté sur la nécessité pour les États membres d’agir de concert: Seule une initiative commune de l’Union est capable de protéger nos valeurs dans les faits et de relever les défis que posent l’ampleur, le caractère transfrontière et la dynamique croissante de ce phénomène.
Jusqu’à présent, il n’avait jamais été fait usage de la possibilité d’étendre la liste des infractions de l’Union établie par l’article 83, paragraphe 1. En dépit des préoccupations qu’ont manifestées certains États membres, il existe au sein du Conseil une très large majorité pour soutenir cette initiative. Les travaux sur cette proposition se poursuivront de manière à obtenir dès que possible l’accord unanime requis
, a promis Pauline Dubarry, présidente du groupe «Droits fondamentaux, droits des citoyens et libre circulation des personnes» (FREMP) du Conseil au titre de la présidence française.
Sur la voie d’une directive de l’Union européenne
En cas d’accord au sein du Conseil, la Commission entamera l’élaboration d’une proposition de directive visant à harmoniser les définitions des infractions et sanctions pénales concernant les discours de haine et les crimes de haine. Pour cette deuxième phase de l’initiative, l’audition a donné lieu à plusieurs observations intéressantes.
Le premier problème concerne les définitions. La délimitation entre le discours de haine et la liberté d’expression est souvent floue. La liberté d’expression ne peut jamais être une liberté d’agresser. Elle ne saurait servir de blanc-seing pour tenir des discours de haine
, a déclaré Miguel Angel Aguilar García, procureur chargé de la coordination en matière de crimes de haine et de discrimination près le parquet de la province de Barcelone.
Ricardo Gutierrez, de la Fédération européenne des journalistes, a insisté sur la nécessité de préserver la liberté d’expression et de soutenir l’indépendance des médias. Mihail Boyadzhiev, président de l’Union des fondations et des associations de Bulgarie, a ajouté que les futurs travaux pour établir une définition doivent aussi prendre en compte le fait que la manière dont les personnes elles-mêmes s’identifient avec des groupes au sein de la société revêt une très grande importance pour discerner l’intention et les effets des discours de haine et des crimes de haine. Lorsqu’ils envisagent une condamnation, les magistrats du parquet devraient examiner le contexte social, le rôle dirigeant que joue éventuellement l’auteur de l’infraction et sa capacité à influer sur la société.
Une autre préoccupation concerne les crimes de haine dans la sphère numérique. Puisque de tels actes de haine touchent des pans entiers de la société, il est devenu essentiel de pourvoir engager des poursuites sans attendre qu’une victime individuelle se soit manifestée. Pour lutter contre les discours de haine en ligne, il convient de définir clairement les rôles et les responsabilités qui incombent à leurs auteurs et aux fournisseurs de services
, a fait valoir Daris Lewis, chargé des affaires juridiques et politiques près le réseau européen des organismes nationaux de promotion de l’égalité (Equinet).
Pour conclure, les participants à la table ronde ont mis en avant l’importance de mesures pour prévenir les discours de haine et les crimes de haine. Il convient de mettre en place très rapidement des mesures et des politiques qui favorisent l’égalité de traitement et restreignent les comportements discriminatoires, tout comme des campagnes de sensibilisation du grand public.
Les conclusions de cette audition enrichiront l’avis du CESE portant sur le même thème. Le CESE adoptera ledit avis lors de sa session plénière au mois de mai prochain.