European Economic
and Social Committee
La compétitivité à l’épreuve: l’Europe doit accélérer le rythme de la transformation
Lors de la présentation de son rapport sur la compétitivité de l’Europe l’an dernier, Mario Draghi n’avait pas mâché ses mots: soit l’Europe procède à des réformes radicales, soit elle sombrera dans le déclin. Un message qui trouve encore un écho aujourd’hui. Douze mois plus tard, la question se pose inévitablement: avons-nous changé de cap ou allons-nous droit vers le déclin annoncé?
Pour être honnête, le tableau n’est pas entièrement noir. Depuis son entrée en fonction, c’est à juste titre que la nouvelle Commission a fait de la prospérité et de la compétitivité ses priorités absolues. Et elle ne se contente pas de vœux pieux, près de la moitié des initiatives contenues dans son programme de travail pour 2025 y étant consacrée. La boussole pour la compétitivité, dévoilée en janvier, trace une feuille de route sur cinq ans basée sur les trois besoins fondamentaux cernés dans le rapport Draghi: combler le retard d’innovation, financer la décarbonation et réduire les dépendances.
Nous avons également vu apparaître les contours d’une stratégie industrielle plus ambitieuse. Le pacte pour une industrie propre promet d’ancrer les industries à forte intensité énergétique en Europe. L’union de l’épargne et des investissements vise à rendre productive l’immense épargne des ménages européens, tandis que la proposition de Fonds européen pour la compétitivité, doté de 409 milliards d’EUR, montre que la question de l’ampleur des mesures n’est plus taboue. En ce qui concerne les technologies, l’Union a lancé InvestAI dans le but de mobiliser quelque 200 milliards d’EUR, une nouvelle stratégie quantique ainsi qu’un plan d’action visant à faire de l’Europe un pôle mondial des sciences de la vie.
Sur le plan de la réglementation, source de frustration de longue date pour les entreprises, six trains de mesures «omnibus» ont déjà été présentés afin de simplifier la législation sur des questions allant de la publication d’informations en matière de durabilité à l’acquisition dans le domaine de la défense.
Si ces initiatives montrent que l’Union est bien décidée à se donner les moyens d’agir, elles ne suffisent pas à marquer un réel changement de direction. Ces mesures restent en effet graduelles, alors que Mario Draghi avait appelé à une véritable métamorphose.
Aucune avancée n’a été réalisée en ce qui concerne les piliers centraux de son plan. L’union des marchés des capitaux reste à l’état de promesse, l’épargne poursuit sa fuite vers l’étranger et les start-up européennes peinent à s’étendre. Nous n’avons toujours aucun moteur d’innovation comparable à l’ARPA pour accompagner les technologies à haut risque de la phase de recherche à leur mise sur le marché, et surtout, nous n’avons opéré aucune réforme en matière de gouvernance permettant de rendre l’Europe plus souple et plus percutante. Mario Draghi avait pourtant été clair: sans processus décisionnel commun renforcé, l’Europe restera à la traîne. Un an plus tard, ladite réforme en est toujours à l’état d’idée.
Et l’Europe reste coincée alors que ses concurrents vont de l’avant.
Cette absence de sentiment d’urgence se révèle particulièrement dangereuse dans un monde qui a énormément changé depuis la rédaction du rapport Draghi. Une politique fondée sur des rapports de force entraîne un remaniement des règles du commerce mondial. Les États-Unis se tournent résolument vers le protectionnisme, et se servent des droits de douane et des subventions comme autant d’armes. De son côté, la Chine redouble d’efforts dans l’application de sa stratégie industrielle étatique. Les guerres et les rivalités géopolitiques redessinent les alliances, les chaînes d’approvisionnement ainsi que les mouvements de capitaux.
Et l’Europe se retrouve prise entre deux feux. Alors qu’elle dépend du soutien américain pour l’Ukraine, elle engage la lutte contre les droits de douane imposés par Washington. Et tandis qu’elle promeut l’ouverture des marchés, elle fait face à des concurrents pour qui le commerce est moins un corpus réglementaire qu’un champ de bataille. Draghi avait raison quand il disait que la taille à elle seule n’était plus nécessairement synonyme de pouvoir. Et l’Europe risque bien de se transformer en un bloc certes d’envergure, mais impuissant: prospère dans l’ensemble, mais incapable de traduire son poids en influence.
Les employeurs en voient les conséquences tous les jours. Des start-up aux idées totalement novatrices se tournent vers les États-Unis pour y bénéficier plus rapidement de financements plus généreux. Les PME se retrouvent piégées dans des cloisonnements nationaux, peu enclines à se développer à cause de règles fragmentées, d’obligations de déclaration faisant double emploi et de procédures complexes. Les grandes entreprises, quant à elles, pèsent minutieusement le pour et le contre avant d’investir, et se demandent si les coûts de l’énergie, la réglementation et les financements en Europe peuvent réellement rivaliser avec ce qui leur est proposé ailleurs.
Et c’est alors que survient le déclin, qui se caractérise non pas par un effondrement soudain, mais par une érosion progressive de la compétitivité. Par des occasions manquées, des investissements reportés et des fuites de talents et de capitaux vers l’étranger.
Si l’Europe poursuit dans cette direction, ce ne sont pas des chocs extérieurs qui finiront par détruire sa base économique, mais sa propre incapacité à agir avec l’urgence requise.
Alors que faire? Les employeurs sont d’avis que l’année qui vient doit constituer un véritable point de bascule: des projets à l’action, de la mise en œuvre progressive à une accélération des choses. Quatre priorités se dégagent d’ores et déjà.
Premièrement, la compétitivité doit constituer le principe central de l’élaboration des politiques de l’Union. L’Europe doit veiller à éviter tout préjudice net en matière de compétitivité.
Deuxièmement, l’épargne de l’Europe doit devenir productive. L’union de l’épargne et des investissements doit être enfin concrétisée. Les investisseurs de détail ont besoin de produits de fonds propres qui soient simples et fiables. Si l’Europe veut que ses fleurons se développent sur son territoire, c’est là qu’elle doit leur proposer des financements.
Troisièmement, le marché unique doit être parachevé.
La Commission s’est engagée à supprimer les dix obstacles les plus perturbateurs. L’Europe ne peut promouvoir l’ouverture à l’échelle mondiale tout en tolérant une fragmentation interne.
Quatrièmement, l’Europe doit accomplir une révolution des compétences. Aucune stratégie en faveur de la compétitivité ne sera couronnée de succès sans des travailleurs disposant des qualifications requises à l’ère de l’intelligence artificielle, des technologies quantiques, de la fabrication avancée et de l’industrie propre.
Le premier discours sur l’état de l’Union du nouveau mandat sera l’occasion idéale pour la présidente von der Leyen de donner le ton pour les années à venir. Les employeurs et les entrepreneurs de toute l’Europe seront particulièrement attentifs à une chose: le sentiment d’urgence.
Nous sommes prêts à jouer notre rôle, mais nous jugerons la réussite à l’aune des résultats obtenus: les coûts administratifs baissent-ils de manière sensible? Les PME se développent-elles plus facilement par-delà les frontières? Les capitaux sont-ils orientés vers des investissements productifs en Europe? Les délais des procédures d’autorisation diminuent-ils? Les entrepreneurs restent-ils et s’étendent-ils en Europe au lieu de se tourner vers l’étranger?
Si la réponse à ces questions est non, aucune feuille de route ni aucune stratégie ne suffira à convaincre les investisseurs, les acteurs innovants et les citoyens du sérieux de l’Europe en matière de compétitivité.
L’Europe ne peut se permettre de tergiverser une année de plus. Elle doit passer la vitesse supérieure. Sans plus attendre.
Stefano Mallia, Président du groupe des employeurs du CESE.
Cet éditorial a été publié par Agence Europe.