Les start-up européennes peuvent-elles échapper à la «vallée de la mort»?

L’Europe est depuis longtemps un vivier d’idées brillantes. Entre les percées de l’intelligence artificielle à Paris et les innovations du secteur des technologies vertes à Stockholm, les jeunes pousses européennes font régulièrement les gros titres de la presse mondiale. Pourtant, trop souvent, ces entreprises prometteuses se heurtent à un mur. Au lieu de triompher sur la scène internationale, elles sombrent dans la «vallée de la mort», ce gouffre insidieux qui sépare l’innovation précoce de son succès commercial. Faute de capitaux, de talents ou d’accès au marché, un trop grand nombre d’entre elles sont délocalisées ou cédées à des concurrents étrangers. Bref, il arrive trop fréquemment que l’innovation européenne ne trouve à s’épanouir qu’après avoir traversé l’Atlantique ou le Pacifique.

Un nouvel avis exploratoire du Comité économique et social européen (CESE) exhorte l’Union européenne à inverser cette tendance en adoptant une logique d’expansion dans toutes ses politiques commerciales. Il ne suffit pas de soutenir les start-up à leur création: tout l’enjeu consiste à leur permettre de prospérer et de se développer sans quitter le marché unique.

À l’épreuve de la réalité: les obstacles réglementaires

Le combat commence par la réglementation. Selon une récente enquête Eurobaromètre Flash (559), le principal obstacle à la croissance réside dans la complexité réglementaire. Pour 64 % des PME, l’ennemi numéro un est incarné par les charges administratives et réglementaires, et ce chiffre grimpe à 71 % auprès des start-up. Les retards de paiement (39 %) et l’accès limité aux financements (27 %) suivent de près. La pénurie de talents constitue un autre défi majeur: 43 % des PME axées sur la croissance font état de difficultés à recruter ou à retenir du personnel qualifié.

Pour les entrepreneurs, il ne s’agit pas de griefs abstraits, mais de frustrations au quotidien: des mois perdus à remplir des formulaires, des retards de paiement qui asphyxient la trésorerie et une chasse aux travailleurs qualifiés dans un marché du travail sous tension. Résultat: trop d’énergie créative est gaspillée à survivre plutôt qu’à se développer. C’est pourquoi le CESE plaide en faveur d’un cadre réglementaire allégé et plus intelligent, qui encourage l’innovation et réduit au minimum les obstacles administratifs.

Des financements sans frontières

Les start-up européennes ne manquent pas d’ambition, mais souvent de capitaux. Après la phase d’amorçage, les financements s’évaporent, poussant les fondateurs à se tourner vers l’étranger pour y trouver des investisseurs à la hauteur de leurs ambitions mondiales. À cet égard, le CESE ne mâche pas ses mots: l’Europe doit prendre sans délai le financement de l’expansion au sérieux, et non après le prochain cycle budgétaire.

Cela implique de consacrer des fonds d’investissement européens à l’expansion, de parachever l’union des marchés des capitaux et d’élaborer des politiques fiscales plus intelligentes, qui renforcent l’attrait de l’Europe comme lieu de création pour les nouvelles entreprises. Sans cela, nos fondateurs les plus brillants continueront à prendre un aller simple pour la Silicon Valley.

Des personnes et des talents, et non seulement des brevets

Très vite, la pénurie de talents s’avère être un facteur décisif dans la réussite ou l’échec des jeunes pousses européennes. Trois PME sur quatre évoquent des difficultés à recruter des travailleurs qualifiés, les start-up et les scale-up étant les premières à pâtir de la situation.

L’Europe ne peut plus se permettre de traîner les pieds: la rationalisation des procédures concernant les travailleurs hautement qualifiés et les fondateurs originaires de pays tiers se fait toujours attendre. Parallèlement à cela, le CESE réclame des efforts à long terme: il s’agit de renforcer l’éducation aux sciences, aux technologies, à l’ingénierie et aux mathématiques (STIM) ainsi qu’à l’entrepreneuriat, et de développer des marchés du travail plus agiles, capables d’attirer et de retenir les meilleurs talents du monde entier. Dans cette course aux cerveaux, l’Europe n’a plus droit à l’échec.

Du potentiel de commercialisation au pouvoir de marché

L’accès aux technologies et aux infrastructures est tout aussi vital. Ainsi, disposer de laboratoires d’IA, de supercalculateurs, d’installations de recherche et d’infrastructures numériques de rang mondial devrait être la règle et non l’exception. Or, malgré le marché unique tant vanté de l’Union européenne, 70 % des PME n’opèrent encore que dans leur pays d’origine, et seule une sur quatre exporte vers un autre État membre.

La voie à suivre

Pour briser ce cercle vicieux, l’Europe ne peut se contenter d’ajustements à la marge. Elle doit simplifier les règles et diminuer la charge administrative, débloquer des financements pour l’ensemble de la chaîne de croissance, réduire les risques liés à l’investissement privé, attirer les meilleurs talents et entretenir une culture où l’échec ne met pas fin aux carrières mais au contraire les renforce. De manière encourageante, la nouvelle stratégie de la Commission européenne en faveur des start-up et des scale-up marque un pas dans la bonne direction, et le tableau de bord des start-up et des scale-up peut servir d’épreuve de vérité pour distinguer les promesses politiques des progrès réels. Le message envoyé par l’avis du CESE et l’Eurobaromètre n’en est pas moins limpide: les entrepreneurs européens sont prêts à prendre de l’ampleur — à l’Europe de décider à présent si elle veut prospérer avec eux ou regarder les meilleures de ses idées briller sous d’autres horizons.

Par Mira-Maria Danisman, rapporteur de l’avis INT/1089 sur les start-up et scale-up européennes