European Economic
and Social Committee
Fragmentation des chaînes d’approvisionnement et incidence sur le coût de la vie
L’ordre mondial opère actuellement une mutation vers une nouvelle ère multipolaire, qui s’accompagne de défis croissants en matière de durabilité socio-économique et environnementale. L’économie mondiale est confrontée à d’importants risques systémiques, caractérisés par une fragmentation géoéconomique croissante, due aux tensions géopolitiques, à des préoccupations en matière de sécurité économique et monétaire, énergétique et alimentaire, ainsi qu’à des changements politiques cruciaux tels que les transitions écologique et numérique.
Les perturbations des chaînes d’approvisionnement et les distorsions des échanges augmentent les charges qui pèsent sur les entreprises et les consommateurs, et ont des répercussions négatives sur la compétitivité et sur le coût de la vie dans les sociétés européennes. En outre, l’inachèvement de l’intégration du marché unique de l’Union européenne et la persistance des obstacles qui empêchent les entreprises d’étendre leurs activités à l’échelle mondiale et qui dissuadent les investissements directs étrangers, comme le mettent en évidence les rapports de MM. Enrico Letta et Mario Draghi, débouchent sur une situation porteuse pour l’Union à la fois de risques extrêmement élevés, mais aussi de chances à saisir.
Dans un tel contexte géopolitique et géoéconomique, l’Union européenne devrait adopter une stratégie volontariste en vue de soutenir les producteurs européens pour ce qui est de diversifier leurs fournisseurs et leurs clients tout en garantissant la sécurité grâce à des relations commerciales alternatives durables, de mettre en œuvre efficacement des stratégies de (ré)intégration verticale et d’élargir la portée géographique des relations commerciales et financières. De même, des politiques sont nécessaires pour soutenir les tendances existantes, justifiées sur le plan économique, à la localisation de la production dans des pays «amis» ou à proximité.
Dans le même temps, pour éviter que ne s’aggrave la fragmentation, l’Union européenne devrait reconnaître le rôle central de l’Organisation mondiale du commerce, soulever la question des droits de douane imposés unilatéralement et proposer de manière volontariste une feuille de route pertinente de réforme à titre préventif, ainsi que s’employer de son propre chef à renforcer les accords plurilatéraux car ceux-ci constituent une solution viable, particulièrement efficace pour les problèmes critiques.
En d’autres termes, l’Union européenne doit lutter pour son autonomie stratégique, tout en évitant de s’isoler et, plus encore, pour devenir la garante d’un nouveau cadre de coopération et de solidarité économique internationale, tout en respectant la durabilité socio-économique et environnementale. Pour y parvenir, il convient de:
- renforcer le vaste réseau d’accords de libre-échange bilatéraux et régionaux de l’Union, tout en maintenant une approche ouverte et non discriminatoire à l’égard des autres nations et en restant un partenaire international crédible;
- donner la priorité aux relations commerciales avec des partenaires clés du Sud global afin de soutenir leur transition climatique, tout en garantissant le respect des valeurs universelles, des normes internationales, des engagements en matière de durabilité, au moyen par exemple de la stratégie «Global Gateway».
Le CESE a récemment adopté à l’unanimité son avis REX/596 sur le thème «Fragmentation des chaînes d’approvisionnement et incidence sur le coût de la vie», par lequel il plaide en faveur d’une telle stratégie et formule certaines recommandations qui préconisent notamment de:
- maintenir la compétitivité, réduire les dépendances à l’égard des importations de biens et de matériaux critiques, en particulier dans les industries de haute technologie et les secteurs essentiels, diversifier les chaînes d’approvisionnement et renforcer la résilience économique grâce à des investissements ciblés dans les industries et les infrastructures stratégiques;
- atténuer les risques d’isolement économique, étendre les accords commerciaux avec de nouveaux partenaires fiables, en particulier dans les pays du Sud global tout en respectant les engagements en matière de durabilité, tant existants que nouveaux, et se prémunir contre les pratiques concurrentielles déloyales découlant de normes et de coûts de production anormalement bas;
- favoriser le progrès technologique, donner la priorité aux investissements dans la R&D pour les industries de haute technologie et la fabrication durable, concevoir et mettre en œuvre une stratégie industrielle européenne unifiée pour combler les écarts de productivité et préserver la compétitivité sur les principaux marchés mondiaux;
- mettre l’accent sur les MPME, renforcer l’assistance financière et technique pour les aider à se développer sur de nouveaux marchés et à adopter des modèles d’entreprise durables;
- mettre en œuvre des programmes d’éducation et de formation ciblés de perfectionnement et de reconversion professionnels, promouvoir la mobilité de la main-d’œuvre au sein du marché unique et attirer et retenir les talents, en renforçant la capacité d’innovation de l’Union;
- coordonner plus avant le Service européen pour l’action extérieure et la DG Commerce afin de tirer parti des effets positifs des partenariats, existants et à venir, en matière de commerce et d’investissement.
Le CESE souligne la nécessité d’apporter une réponse urgente et stratégique à la fragmentation des chaînes d’approvisionnement mondiales. Il sera essentiel de renforcer la sécurité économique, d’accroître la résilience commerciale et de donner la priorité à l’innovation industrielle pour faire en sorte que l’UE reste compétitive tout en protégeant les entreprises et les consommateurs contre l’escalade des coûts et les ruptures d’approvisionnement.
Dimitris DIMITRIADIS, membre du groupe des employeurs du CESE, président de la section «Relations extérieures» (REX), et rapporteur de l’avis REX/596 sur le thème «Fragmentation des chaînes d’approvisionnement et incidence sur le coût de la vie».