Les personnes handicapées ont besoin de visibilité

En Europe, la discrimination fondée sur le handicap s’élève en moyenne à 15 %, mais au Portugal, ce taux monte jusqu’à 65 %. De façon surprenante, le gouvernement portugais n’a pas de stratégie nationale en faveur des personnes handicapées.

L’analyse des données et les recherches de l’Observatoire du handicap et des droits de l’homme (Observatório da Deficiency e Direitos Humanos), établi à l’Université de Lisbonne (Portugal), révèlent plusieurs problèmes préoccupants.

Dans le cadre de ses travaux, le groupe d’étude permanent du Comité économique et social européen (CESE) sur les droits des personnes handicapées (GEP DIS) a effectué une visite d’information à Lisbonne, au Portugal, du 19 au 21 mars 2018, pour étudier la situation des personnes handicapées après la crise et les mesures d’austérité qui en ont découlé.

Irene Petraitienė (Lituanie), présidente du GEP DIS et représentante du groupe des travailleurs, Ioannis Vardakastanis (Grèce), représentant le groupe des intérêts divers, et Madi Sharma (Royaume-Uni), représentant le groupe des employeurs, ont rencontré une série d’acteurs et d’organisations de la société civile pour mieux comprendre les problèmes qui se posent. Une réunion à haut niveau s’est également tenue avec Ana Sofia Antunes, secrétaire d’État au ministère du travail, de la solidarité et de la sécurité sociale, qui a dans ses attributions la politique en matière de handicap.

Le gouvernement portugais nouvellement élu a réalisé, depuis 2016, deux avancées importantes pour améliorer la situation des personnes handicapées. Ces mesures sont axées sur les prestations sociales ciblées et la vie autonome. L’objectif de ces dispositions récemment introduites est de passer de l’institutionnalisation à l’autonomisation des individus. Des débats publics et des consultations sur la nouvelle législation ont été réalisés avec la société civile et des initiatives de soutien direct ont été lancées, visant à dégager des mesures concrètes.

Toutefois, de nombreuses organisations avec lesquelles les membres du CESE se sont entretenus ont expliqué que, bien qu’ayant été associées aux consultations initiales du gouvernement, elles ont eu le sentiment que l’inexistence d’une stratégie nationale constituait un obstacle majeur pour lutter contre la discrimination et l’augmentation du risque de pauvreté auxquelles sont confrontées les personnes handicapées au Portugal.

Ioannis Vardakastanis, qui est également président du Forum européen des personnes handicapées (FEPH), a déclaré qu’ «il est indispensable d’introduire des réformes dans la procédure de perception des prestations sociales et la manière dont fonctionnent le système d’évaluation du handicap et, en particulier les analyses médicales. Dans l’état actuel des choses, il se pourrait qu’elle contrevienne aux lignes directrices de la CNUDPH (convention des Nations unies relative aux droits des personnes handicapées). L’évaluation devrait être basée sur les besoins et non sur le niveau de handicap, conformément à l’approche fondée sur les droits de l’homme».

La lutte contre la discrimination doit commencer par un système éducatif inclusif; sur ce point, les statistiques du Portugal sont bonnes. Le taux d’intégration des élèves handicapés dans le système éducatif est de 99 %, dont 86 % d’entre eux suivant l’enseignement général. Cependant, le système peut difficilement être inclusif s’il ne fournit pas aux élèves handicapés les services d’aide dont ils ont besoin, notamment un soutien thérapeutique, qui a malheureusement été réduit de moitié entre 2015 et 2016 et continue à être dispensé au même niveau. Il convient également d’être attentif à l’écart entre garçons et filles parmi les élèves et de prendre des mesures pour le combler, car les filles reçoivent moins de soutien que les garçons et sont moins représentées dans les écoles.

Selon les constatations de l’Observatoire du handicap et des droits de l’homme, les faibles performances du système scolaire ont cumulativement pour effet que 18 % de la population portugaise âgée d’au moins cinq ans déclare éprouver de graves difficultés pour accomplir six tâches quotidiennes prédéfinies, mais que ce pourcentage monte à 50 % chez les personnes de plus de 65 ans. En outre, les chiffres pour la période 2011-2016 révèlent qu’au Portugal, le chômage déclaré a diminué de 18,8 % dans la population générale, mais a augmenté à 26,7 % chez les personnes handicapées. Les femmes handicapées subissent une double discrimination, puisqu’elles ne sont pas moins de 37,2 % à être au chômage, contre 20 % pour les hommes. Cette hausse s’explique en grande partie par le manque d’assistance auquel les jeunes handicapés, en particulier les filles, sont confrontés dans les écoles.

«Les employeurs et les syndicats doivent, les uns comme les autres, prendre leurs responsabilités. Il est indispensable de mener des actions de communication et de formation dans les secteurs public et privé si nous voulons assister à un changement au Portugal», a déclaré Mme Sharma.

Les mesures de promotion de l’emploi ont apporté un soutien à la population générale, tandis que les personnes handicapées ont bénéficié de programmes à court terme, tels que des stages et des apprentissages, mais la tendance concernant les possibilités de travail à long terme, s’avère très négative. Le secteur privé n’emploie que 0,5 % de personnes handicapées et le public seulement 2,3 %, et ce en dépit d’objectifs fixés, respectivement, à 2 % et 5 %. Une faible intensité de travail se traduit par des revenus bas (24,8 %), induisant un risque élevé de pauvreté et d’exclusion sociale, qui est plus important chez les personnes gravement handicapées (36,5 %).

Le gouvernement portugais attend beaucoup de ses prestations d’inclusion sociale pour résoudre certains des problèmes auxquels sont confrontées les personnes handicapées, mais tout dépendra en fin de compte de leur mise en œuvre effective et, à cet égard, de nombreuses organisations de la société civile se sont dites assez inquiètes. Pour avoir droit aux prestations, il faut présenter un taux d’incapacité d’au moins 60 %, attesté par une évaluation médicale. Celle-ci est réalisée sur la base d’une liste controversée de déficiences physiques prédéfinies, qui s’avère discriminatoire à l’égard des déficiences intellectuelles. La prestation est octroyée selon une échelle mobile en fonction du pourcentage d’incapacité dépassant 60 %. D’autres problèmes se posent encore: ainsi, de nombreuses personnes rencontrent des difficultés liées au versement des allocations en raison du système bancaire portugais.

Malgré toutes les difficultés, de nombreuses ONG, comme Novamente, l’Association portugaise pour les personnes handicapées (APD), la Confédération portugaise des personnes handicapées (CNOD), ECDC Sintra, la fondation Liga ou l’Association pour l’étude et l’intégration psychosociale, œuvrent avec beaucoup de dévouement et de discernement. Une grande partie de ce travail est effectuée sur une base volontaire ou avec des moyens financiers très limités. Ces organisations qui mènent à bien des initiatives au profit de la communauté ont donc désespérément besoin de fonds supplémentaires.

«Au Portugal, il reste beaucoup à faire pour l’accessibilité et la sensibilisation aux problèmes rencontrés par les personnes handicapées. À cet égard, l’Union européenne et le gouvernement portugais pourraient veiller à répartir les fonds de manière plus efficace et à mettre en œuvre de programmes plus pertinents et mieux ciblés pour répondre aux besoins des personnes les plus marginalisées dans la société», a déclaré Mme Petraitienė au terme de la mission.