Le protocole sur le progrès social proposé lors de la conférence sur l’avenir de l’Europe (CoFE) donne la priorité aux droits sociaux, aux droits des travailleurs et aux droits syndicaux lorsqu’ils entrent en contradiction avec les libertés économiques. Une audition organisée par le Comité économique et social européen (CESE) a toutefois confirmé que, si tous s’accordent à dire que les droits sociaux et les libertés économiques peuvent coexister, l’entrée du protocole dans le droit primaire de l’Union est loin de faire l’unanimité, et les points de vue divergent selon les partenaires sociaux et au sein du monde universitaire.
Le 14 mars dernier, le CESE a organisé une audition sur la proposition de protocole sur le progrès social, un instrument qui donne la priorité, en cas de conflit, aux droits fondamentaux plutôt qu’aux libertés économiques ainsi que dans les politiques de l’Union. Les demandes visant à placer le protocole sur un pied d’égalité avec les traités, afin de préserver et de renforcer le modèle social européen, ont été examinées.
L’objectif de l’audition était de recueillir des contributions en vue d’un avis exploratoire que le CESE prépare actuellement à la demande de la future présidence espagnole du Conseil de l’Union européenne.
En ouverture de l’audition, la rapporteure de l’avis du CESE, Mari Carmen BARRERA, a déclaré: L’application du protocole sur le progrès social garantira le progrès de l’économie sociale et imposera le respect du principe de non-régression des normes sociales. Inscrire le protocole dans les traités permettra à l’Union de préserver le modèle social européen et de promouvoir les libertés économiques, ce qui se traduira par l’essor d’entreprises plus solides et plus durables.
Le protocole vise à garantir les droits sociaux fondamentaux et à encourager le progrès social, en veillant à ce que l’Union et les États membres s’efforcent sans relâche d’améliorer les conditions de travail et de vie des citoyens. Il a également pour objectif de garantir l’autonomie des partenaires sociaux en réglementant les relations de travail, en défendant les normes les plus élevées en matière de droits sociaux (qu’elles proviennent du droit national, européen ou international) et en protégeant l’ensemble des droits sociaux existants.
Le but est d’apporter des éclaircissements sur la hiérarchie des normes en ce qui concerne les droits sociaux fondamentaux et les intérêts économiques, de consolider les politiques sociales européennes, d’encourager la mise en œuvre du socle européen des droits sociaux au sein des États membres et de veiller à ce que les droits de l’homme et les droits fondamentaux ne soient pas contournés dans le droit européen, puisqu’on y relève parfois des infractions au droit international des droits de l’homme et aux conventions internationales du travail.
La création du protocole sur le progrès social a été proposée pour la première fois par la Confédération européenne des syndicats (CES) en 2008, en réponse aux arrêts de la Cour de justice de l’Union européenne en faveur des libertés économiques dans les affaires Viking et Laval. L’année dernière, les conclusions de la CoFE mentionnaient le protocole et demandaient une modification des traités européens de sorte qu’il devienne un instrument contraignant inscrit dans le droit primaire de l’Union.
Dans le sillage de la conférence sur l’avenir de l’Europe, le Parlement européen a adopté, en juin 2022, une résolution dans laquelle il appelait de ses vœux l’intégration du protocole dans le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. La Commission européenne publiera sa réponse aux conclusions de la CoFE dans quelques mois.
Notre époque connaît des défis majeurs en matière de compétitivité, de marchés et de modèles sociaux. Il s’agit de trouver une manière de les relever en Europe, sans pour autant abandonner notre modèle européen qui combine productivité, approche moderne, respect de l’environnement et protection des droits sociaux et du travail
, a déclaré Alejandro ABELLÁN, représentant de la future présidence espagnole.
Nous ne souhaitons pas opposer libertés économiques et droits sociaux. Avant d’envisager des négociations sur les traités, il convient de travailler ensemble aux modalités d’un renforcement de la dimension sociale de l’Union. Nous disposons de nombreux outils à cette fin, notamment le socle européen des droits sociaux, son plan d’action et sa clause de réexamen
, a déclaré Denis GENTON, de la Commission européenne, ajoutant que la Commission était déterminée à faire pleinement usage de son droit d’initiative.
Il a par ailleurs cité l’exemple du socle européen des droits sociaux et de la garantie pour la jeunesse: si aucun de ces deux instruments n’est juridiquement contraignant, ils n’en produisent pas moins d’excellents résultats. Le socle européen des droits sociaux a radicalement modifié l’équilibre entre les dimensions économique et sociale des politiques, tandis que la garantie pour la jeunesse a changé la vie de nombreux jeunes.
Les partenaires sociaux n’ont pu s’accorder sur le caractère contraignant du protocole sur le progrès social: les syndicats réclament son inclusion dans les traités; les organisations patronales font quant à elles valoir que la législation actuelle est tout à fait suffisante pour garantir le respect des droits sociaux fondamentaux lorsqu’elle est correctement appliquée.
Les travailleurs ne sont pas des produits et ne peuvent être soumis aux forces du marché de la même manière que d’autres facteurs de production sur le marché intérieur. Les droits des travailleurs ne peuvent être sacrifiés sur l’autel du prix le plus bas ou du bénéfice le plus élevé, dans une Union qui s’efforce d’améliorer constamment les conditions de travail et de vie ainsi que le bien-être de sa population
, a déclaré Isabelle SCHÖMANN, secrétaire confédérale de la CES.
Elle estime qu’il est impératif de rendre le protocole juridiquement contraignant dans tous les domaines d’action de l’Union, car cela garantira que la législation de l’Union cesse de considérer la protection des droits de l’homme comme un obstacle au libre-échange et à l’intégration des marchés. Il devrait être clair que les droits de l’homme s’appliquent à tous les êtres humains et ne peuvent être écartés au profit d’intérêts économiques.
Barbara CARACCIOLO de Solidar — un réseau de 60 organisations nationales qui œuvrent pour faire progresser la justice sociale par une transition juste — a déclaré qu’il était essentiel d’inclure le protocole dans les traités afin d’édifier une Europe sociale et de gagner la confiance des populations, en dotant les politiques sociales européennes d’un fondement juridique plus solide et en appuyant la mise en œuvre du socle des droits sociaux.
On privilégie déjà les intérêts spéculatifs au détriment des droits fondamentaux des citoyens, notamment leur droit d’accéder à l’énergie
, a déploré Mme CARACCIOLO. Elle a ajouté que, d’après les conclusions de la CoFE et les données de l’Eurobaromètre, les Européens étaient favorables à davantage de dépenses sociales et à une Europe sociale plus forte, 78 % des personnes interrogées déclarant que les gouvernements, avec le soutien des institutions européennes, devraient prendre des mesures pour réduire les divergences de niveau de revenus.
Maxime CERUTTI, de Business Europe, a déclaré que l’équilibrage de l’économie sociale de marché était au cœur des discussions concernant le protocole sur le progrès social. Selon lui, les droits fondamentaux et les libertés économiques ont actuellement la même valeur et le même poids politique.
Cet équilibre est nécessaire; sans lui, nous ne serions pas dans une économie sociale de marché, mais plutôt dans un cadre social spécial
, a indiqué M. CERUTTI, ajoutant que les entreprises doivent déjà respecter les règles en vigueur, les directives sociales et les droits fondamentaux pour pouvoir opérer sur les marchés.
Les juristes participants à l’audition se sont tous accordés sur la nécessité de renforcer le cadre juridique de l’Union afin de garantir le respect des droits sociaux fondamentaux, mais pas sur celle de modifier les traités pour y inclure le protocole. Si certains ont plaidé en faveur d’une mise en œuvre plus rigoureuse des directives sociales (telles que celles sur la transparence et les salaires minimaux), d’autres étaient d’avis qu’il serait primordial de faire du protocole un instrument contraignant pour qu’il ait un réel effet.
Les partisans d’une modification des traités ont argué qu’un protocole clair, doté de la même valeur juridique que la législation, aurait un poids réel, en particulier dans les affaires portées devant la Cour de justice de l’Union européenne. Selon eux, le protocole sur le progrès social devrait être mis en correspondance avec le droit international du travail; l’Union devrait saisir cette occasion pour rattraper son retard et améliorer l’harmonisation avec les principaux textes en la matière, tels que la charte sociale européenne, la convention européenne des droits de l’homme et l’ensemble des conventions de l’Organisation internationale du travail.
Compte tenu des nombreux défis qui se profilent sur le plan social, l’inscription du protocole dans les traités apparaît indispensable au renforcement de la cohésion sociale. Il importe d’établir un équilibre entre les intérêts sociaux et les intérêts économiques, sans pour autant compromettre les droits sociaux fondamentaux; reste à trouver comment.
L’avis du CESE relatif au protocole sur le progrès social sera mis aux voix lors de la session plénière de juin.