L'Union européenne est en danger.

Le projet européen, quelque noble, intelligent et généreux qu'il soit, quelque historiquement unique qu'il soit, traverse en ce moment une période de crise sans précédent.

 

Le moment est idéal pour les populistes et autres cultivateurs de haine: c'est l'occasion pour eux de berner les citoyens vulnérables en leur promettant des lendemains qui chantent, des «aubes dorées», s'ils se retranchent, comme au bon vieux temps, derrière des frontières bien étanches: plutôt que de gérer ensemble, avec courage, inventivité et solidarité, remettons donc en place un tas de «rideaux de fer» un peu partout et, tant qu'on y est, édifions des miradors et réinstallons-y des mitrailleuses: à coup sûr, ça va arrêter les afflux de pauvres, bloquer les suspects qui fuient des guerres ou des tyrannies, préserver les philosophies et coutumes locales, doper nos économies, profiter à nos entreprises et même empêcher les criminels fanatiques de nuire.

 

En réalité, si l'Union européenne s'effondre, c'est l'Europe elle-même, l'Europe géographique, qui sera exposée, et au pire. Quels qu'aient été ses défauts, l'Union a clairement constitué le facteur essentiel du maintien de la paix entre les États membres depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, outre qu'elle a longtemps été un espace de droit, de démocratie, de justice sociale et de prospérité dont l'attrait était tel que ses propres peuples adhéraient pratiquement unanimement au projet et que ceux qui n'en faisaient pas encore partie aspiraient ardemment à le rejoindre.

 

Or si l'Union est en danger, c'est précisément parce qu'elle n'est pas assez unie, pas assez cohérente, pas assez solidaire. Elle est désormais divisée en trop de sous-ensembles différents, comme en matière monétaire ou en matière de libre circulation. Elle est démunie de diverses formes de politiques communes et d'harmonisations pourtant essentielles, comme en matière fiscale, en matière de défense ou encore – et surtout – en matière sociale.

 

L'objectif de l'Union européenne, aux termes même de son traité, c'est «la paix, ses valeurs et le bien-être de ses peuples» mais beaucoup, à commencer par les décideurs, semblent ne pas trop y penser. Comme s'il n'était pas de l'intérêt de tous de tout faire, avant toute autre chose, pour assurer la survie des citoyens dans la dignité et dans la paix.

 

Il faut lire, faire connaître, promouvoir et surtout appliquer concrètement les articles 2 et 3 de ce traité. Beaucoup pensent sans doute que les textes de ces accords entre États doivent être épouvantablement techniques, pour ne pas dire «technocratiques», et affreusement indigestes. Il n'en est rien, en tout cas en ce qui concerne les grands principes exposés au début. On devrait lire ça dans les écoles.

 

Juste après les mots que je viens de citer, il est écrit «L'Union offre à ses citoyens un espace de liberté, de sécurité et de justice sans frontières intérieures [...]». Le projet européen n'est donc pas conçu pour des entités, des abstractions, des systèmes, des administrations ou aucune sorte de machinerie plus ou moins déshumanisée: il est conçu pour des femmes et des hommes. C'est à eux qu'il promet quelque chose et c'est à eux qu'il a le devoir de l'offrir.

 

S'ensuit un troisième paragraphe dans lequel le mot «social» apparaît cinq fois sur dix lignes. Il n'est pas nécessaire de réviser cet article-là pour que l'Union européenne retrouve le prestige qu'elle a eu auprès de ses propres citoyens, il suffit de se décider à l'appliquer.

 

Il n'est pas trop tard pour se reprendre, mais il est grand temps. Observons attentivement l'histoire du continent européen au cours du siècle passé et agissons pour que les erreurs ne se répètent pas: notre avenir, l'avenir de nos enfants, se trouve dans une Europe unie et solidaire.