La capacité juridique protège les personnes handicapées: les barrières juridiques doivent être supprimées et toute nouvelle restriction évitée

L’UE et les États membres doivent redoubler d’efforts pour promouvoir la capacité juridique de toutes les personnes handicapées à faire valoir leurs droits fondamentaux. Les gouvernements doivent soutenir la prise de décisions autonome et rejeter le protocole régressif à la convention d’Oviedo.

Tous les États membres de l’UE, ainsi que l’Union elle-même, ont ratifié la Convention des Nations unies relative aux droits des personnes handicapées (CDPH). Au titre de l’article 12 de cette convention, les signataires reconnaissent que les personnes handicapées jouissent de la capacité juridique dans tous les domaines, sur la base de l’égalité avec les autres, et que les mesures visant à limiter la capacité juridique doivent être proportionnées et s’appliquer pendant la période la plus brève possible.

Pourtant, de nombreux pays de l’UE restreignent la capacité juridique des personnes handicapées, les privant de droits fondamentaux tels que la liberté de prendre leurs propres décisions médicales, d’avoir le contrôle de leurs biens ou de demander justice en cas de préjudice. C’est particulièrement vrai pour les personnes présentant un handicap intellectuel ou psychosocial et pour les femmes handicapées.

Une audition organisée par le Comité économique et social européen (CESE) sur le thème Le droit de prendre des décisions: faire progresser la capacité juridique des personnes handicapées, qui s’est tenue le 15 novembre 2021, a fourni l’occasion de s’interroger sur la manière dont l’UE pouvait soutenir le changement.

Présidée par Pietro Barbieri, président du groupe d’étude thématique du CESE sur les droits des personnes handicapées, et animée par les membres du groupe Marie Zvolská et Hana Popelková, la rencontre a permis d’entendre les points de vue de représentants d’organisations de défense des personnes handicapées et de défense des droits de l’homme ainsi que de représentants des Nations unies. Les témoignages ont décrit des expériences personnelles concernant la situation actuelle ainsi que de bonnes pratiques visant à promouvoir la prise de décisions personnelle.

Le maintien de la capacité juridique d’un individu est la clé lui permettant de bénéficier de garanties juridiques. Sans cela, il n’a que partiellement accès aux droits de la personne, a déclaré M. Barbieri.

 

Rompre le statu quo

Nous avons besoin d’une aide pour prendre de bonnes décisions par nous-mêmes, pas de quelqu’un qui décide à notre place, a déclaré Senada Halilčević, ancienne présidente de la Plateforme européenne des décideurs autonomes et vice-présidente d’Inclusion Europe.

Quinze ans après l’adoption de la CDPH, l’Europe compte davantage de personnes privées de capacité juridique que de personnes qui l’ont récupérée en bénéficiant d’un tel soutien. Nous attendons toujours des décideurs politiques qu’ils nous démontrent leur intention réelle et honnête de changer la situation qui prévaut en matière de tutelle.

Les femmes sont confrontées à des défis particuliers. Privées de leur autonomie juridique, elles sont plus exposées à l’exploitation et aux abus sexuels, sont souvent victimes de contraception, de stérilisation et d’avortements forcés, se voient retirer leurs enfants et sont limitées dans leur droit de fonder une famille ou de se marier.

Lorsqu’on parle d’égalité, de droits des femmes et de grands pas en avant, il faut avoir conscience que le droit fondamental de prendre ses propres décisions est hors de portée pour de nombreuses personnes, a déclaré Ana Pelaez Narvaez, vice-présidente du Forum européen des personnes handicapées (FEPH) et vice-présidente du Comité des Nations unies pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes.

Il faut créer des commissions qui favorisent l’accès à la justice, afin d’apprendre aux tribunaux à écouter les personnes souffrant de handicaps psychosociaux, a fait valoir Jolijn Santegoeds, du Réseau européen des (anciens) utilisateurs et des survivants de la psychiatrie (ENUSP), qui a raconté son expérience d’intervention forcée dans une institution.

Dans ce contexte, la proposition du Conseil de l’Europe visant à légaliser la détention et le traitement forcés, connue sous le nom de protocole à la convention d’Oviedo, représente une source de préoccupation majeure pour le Comité et les orateurs. Elle créera un nouvel obstacle à l’accès à la justice et maintiendra le statu quo, a déclaré Mme Santegoeds.

 

Que peut faire l’UE?

La discrimination juridique persistante à l’encontre des personnes handicapées trouve ses racines dans leur invisibilité, a expliqué Gerard Quinn, rapporteur spécial des Nations unies sur les droits des personnes handicapées. Il a proposé que les États membres de l’UE mettent moins l’accent sur l’égalité et promeuvent plutôt la reconnaissance de la personnalité juridique des personnes handicapées.

L’UE aurait une réelle valeur ajoutée si elle mettait en place un programme instaurant un nouveau paradigme, a-t-il suggéré.

La loi autrichienne de juillet 2018 sur la capacité juridique, décrite par Carina Pimpel, de Lebenshilfe Austria, représente une approche intéressante. Cette loi révoque l’approche axée sur la tutelle au profit d’une approche fondée sur une prise de décisions inclusive et une autonomie assistée.

Même lorsqu’un tribunal désigne un représentant pour prendre des décisions au nom d’une personne handicapée, celui-ci ne peut exercer cette fonction que pour une durée de trois ans. La personne handicapée conserve toujours sa capacité juridique. Le représentant ne peut pas prendre de décisions sur des questions hautement personnelles telles que le mariage et ne peut prendre de décisions médicales qu’en dernier ressort.

Des avancées sont nécessaires dans l’ensemble de l’UE. En dépit des progrès réalisés dans certains pays, les modifications apportées ne mettent pas pleinement en œuvre la CDPH.

Il faut mettre en place l’environnement politique qui permettra de remplacer la prise de décision substitutive par une prise de décision fondée sur le soutien, a réclamé Kristijan Grđan, de Santé Mentale Europe.

Les organismes nationaux de défense des droits de l’homme sont un réservoir inépuisable de bonnes pratiques. Ils étudient les lois, enquêtent sur les institutions et les plaintes, et mènent des actions de sensibilisation pour faire changer les comportements, en associant les personnes handicapées à ces démarches.

La recherche est souvent accessible au public, a expliqué Ekaterine Skhiladze, du Réseau européen des institutions nationales des droits de l’homme (REINDH), qui a publié en 2020 des recommandations sur la prise de décisions indépendante.

En guise de conclusion, M. Barbieri a lancé un appel concernant les propositions troublantes du Conseil de l’Europe.

Il faut faire en sorte que la déclaration d’Oviedo ne soit pas ratifiée et inciter les États à agir en ce sens, a-t-il déclaré. Sans quoi l’inégalité de traitement des personnes handicapées se poursuivra.