Dans un avis qu’il vient d’adopter, le Comité économique et social européen (CESE) reconnaît la détermination de la Commission européenne à lutter contre la désinformation. Il demande cependant de cibler davantage les personnes et les organisations qui en sont à la source, en adoptant une approche préventive plutôt que palliative.
La pandémie de COVID-19 a révélé au grand jour la menace que représente la désinformation. La diffusion rapide d’informations fausses, inexactes ou trompeuses, par l’intermédiaire des médias sociaux et d’autres plateformes numériques, a jeté le doute sur les protocoles de protection et ralenti l’adoption des vaccins. Elle a divisé la société et mis à mal les systèmes de santé publique, soumettant les vies déjà menacées par le virus à des risques encore plus grands.
Dans ce contexte, à la suite d’une évaluation critique, la Commission européenne a publié, en mai 2021, des orientations visant à renforcer le code européen de bonnes pratiques contre la désinformation afin de créer un espace en ligne plus sûr et plus fiable. Outil d’autoréglementation, ce code de bonnes pratiques en vigueur depuis 2018 a été signé par les principales plateformes en ligne opérant dans l’UE.
Dans un avis élaboré en réponse à cette démarche et adopté à la quasi-unanimité le 9 décembre, le CESE affirme que la Commission met trop l’accent sur le contenu et la manière de le modérer, et pas assez sur ceux qui sont à l’origine de sa propagation.
«Le contenu change en permanence et les plateformes utilisées évoluent, mais les principaux acteurs restent fondamentalement les mêmes et les motivations ne changent pas», affirme Thierry Libaert, rapporteur de l’avis. «Il faut privilégier une approche préventive plutôt que palliative, et les travaux de la Commission doivent se concentrer sur les causes plutôt que les conséquences.»
Le CESE constate que la désinformation est une activité qui a le vent en poupe et se félicite que la Commission cherche prioritairement à entraver sa capacité à générer des revenus. Comme l’a récemment révélé la lanceuse d’alerte Frances Haugen, ancienne salariée de Facebook, son employeur était loin de lutter contre ce phénomène et, au contraire, en avait fait une partie intégrante de son modèle économique. Une information fausse circule six fois plus vite qu’une information vraie, elle est davantage likée et partagée, crée davantage d’activité et retient davantage l’attention. En ce sens, elle génère plus de visiteurs et donc d’intérêt et de recettes publicitaires. Sans le savoir, les entreprises européennes dépensent plus de 400 millions d’euros sur des sites de désinformation.
Pour mieux lutter contre la désinformation à sa source, la Commission devrait envisager un «arsenal» d’outils économiques, juridiques et financiers plus contraignants qui vont au-delà des engagements volontaires des annonceurs en ligne.
Appel à un renforcement des compétences
Le CESE met en garde contre le fait que les codes de conduite ne suffiront pas à eux seuls à contrecarrer les tentatives de diffusion de la désinformation soutenues par certains États.
«L’Union européenne doit se doter de plus de compétences pour pouvoir lutter effectivement contre la désinformation qui est répandue systématiquement par des pouvoirs hostiles souvent régis par les gouvernements de certains pays tiers, parmi lesquels la Russie et la Chine», affirme le rapporteur.
Les autorités nationales doivent être soutenues davantage par les services de renseignement, affirme le CESE, qui appelle dans le même temps à instaurer une coopération et un partage des connaissances à l’échelle de l’UE. Toutefois, étant donné que la liberté des médias et les systèmes juridiques sont menacés dans plusieurs pays de l’UE, la Commission doit veiller à ce que la lutte contre la désinformation ne serve pas de prétexte pour limiter les libertés publiques, et en premier lieu la liberté d’expression.
Pour les pays limitrophes de la Russie en particulier, la Commission devrait promouvoir de plus amples mesures ciblant les contenus produits dans d’autres langues que l’anglais. De même, en plus des discussions en cours avec Facebook et d’autres plateformes bien connues, elle devrait se concentrer davantage sur d’autres plateformes qui le sont moins, telles que VKontakte, Rumble, Odysee, Gab et Parler. Bien que leurs publics soient plus restreints, elles peuvent être moins transparentes et cibler plus facilement des groupes spécifiques. La désinformation provient souvent de ces plateformes plus confidentielles avant d’atteindre rapidement une plus large audience.
La désinformation étant présentée et diffusée de manière de plus en plus sophistiquée, le CESE recommande d’agir rapidement dès qu’un nouveau risque est détecté. Parce que de nouveaux réseaux apparaissent en permanence, parce que les moyens utilisés sont de plus en plus sophistiqués (deep fakes), et parce que certaines applications se situent à la frontière entre plateforme et messagerie privée (Telegram), l’action engagée doit intervenir dès la détection d’un nouveau type de risques.
Le CESE demande également que la société civile puisse jouer un rôle plus important dans la lutte contre la désinformation. Les entreprises, en particulier, doivent se voir accorder un rôle majeur en la matière, car la désinformation peut leur faire perdre beaucoup d’argent ou menacer gravement leur réputation, mais d’autres organisations de la société civile peuvent également être mobilisées à cette fin.