Transition juste: la formation ciblée des travailleurs peut transformer les défis en opportunités

Étant donné que moins de la moitié des Européens possèdent des compétences numériques de base, l’Union devra procéder à une révolution des compétences pour permettre une transition en douceur vers une économie numérique et écologique, mais aussi et surtout pour faire en sorte que personne ne soit laissé pour compte

Bien qu’elle soit vouée à rendre de nombreux emplois obsolètes, la double transition offrira des possibilités sans précédent de création d’emplois nouveaux. Toutefois, pour faire en sorte que cette transition ne laisse personne de côté, l’Union européenne devra veiller à doter sa main-d’œuvre d’un ensemble adéquat de compétences, ce qui n’est pas le cas actuellement.

Une transition juste pour les travailleurs des industries européennes: favoriser les possibilités de reconversion et de perfectionnement professionnels: tel était le thème d’une audition qui a eu lieu au Comité économique et social européen (CESE) le 26 novembre. Cette audition était organisée par l’Observatoire du marché du travail du CESE sous la présidence de Lech Pilawski, président.

L’audition a souligné l’importance capitale de la formation et de la reconversion des travailleurs, ainsi que de l’éducation tout au long de la vie, afin que personne – quel que soit son secteur d’activité, son type de contrat de travail ou sa situation géographique – ne soit oublié lors du passage de l’Europe à une économie écologique et numérique.

Selon des chiffres récents publiés par le Forum économique mondial, d’ici dix ans, neuf emplois sur dix nécessiteront des compétences numériques. À l’heure actuelle, seuls 44 % environ des Européens possèdent des compétences de base dans ce domaine et un Européen sur cinq possède des compétences numériques supérieures au niveau de base. Cette situation se traduira, d’ici à 2025, par un déficit de compétences correspondant à 1,67 million d’emplois non pourvus dans le secteur des TIC.

Toutefois, bien que 50 % des emplois soient voués à être modifiés par l’automatisation, seuls 5 % seront supprimés, principalement ceux nécessitant de faibles qualifications. Selon les prévisions, 2,5 millions d’emplois seront créés dans l’Union d’ici à 2030 pour atteindre les objectifs du pacte vert pour l’Europe, ce qui entraînera une croissance de l’emploi de 1,2 %, ainsi que des gains directs en matière d’emploi dans les secteurs qui favorisent la transition écologique et des gains indirects dans les professions qui la soutiennent.

La pandémie a accéléré les changements déjà en cours et a rendu plus visibles les besoins, notamment en matière de compétences numériques. S’ensuivent des défis que nous pouvons transformer en opportunités grâce à une mise à niveau ciblée des compétences, a déclaré Carlo Scatoli, expert en compétences et qualifications à la Commission européenne.

Pour permettre une transition juste, l’Union a fait du renforcement des compétences une priorité. Son plan d’action pour le socle européen des droits sociaux fait de l’éducation et de la formation des adultes un objectif clé: faire en sorte qu’en 2030, au moins 60 % des adultes aient participé à une expérience d’apprentissage au cours d’une année. Ce pourcentage était de 37 % en 2016.

Des objectifs ambitieux ont également été fixés par la stratégie de l’Union en matière de compétences. Il s’agit notamment, chaque année, de mettre à niveau et de reconvertir 120 millions d’adultes par an, d’augmenter de 67 % le nombre d’adultes peu qualifiés participant à l’apprentissage et d’accroître d’un quart le nombre d’adultes possédant des compétences numériques de base.

L’Union a alloué des fonds substantiels pour soutenir la formation de sa main-d’œuvre. Outre le Fonds social européen (FSE), qui demeure la principale source de financement à cet effet, les plans nationaux de relance et de résilience envisagent également des mesures de reconversion et de mise à niveau des compétences. En outre, l’Union a mis en place un Fonds pour une transition juste d’un montant de 19,2 milliards d’EUR en prix courants qui devrait libérer environ 25,4 milliards d’EUR d’investissements.

L’EUROPE A BESOIN D’UNE RÉVOLUTION DES COMPÉTENCES

À l’heure actuelle, l’Europe n’est pas suffisamment préparée pour relever ces défis sans précédent auxquels sont confrontés les marchés du travail.

La situation est dramatique. Plus d’un tiers de la main-d’œuvre de tous les États membres a besoin d’une reconversion ou d’un perfectionnement professionnels. Le défi est énorme; atteindre les objectifs de l’Union suppose de doubler le nombre d’adultes participant à des actions de formation. Nous avons un long chemin à parcourir, a déclaré Jürgen Siebel, directeur exécutif du Cedefop.

La pandémie n’a rien arrangé. L’on estime que la participation à l’apprentissage informel a diminué de 25 % en raison de la cessation généralisée de l’activité économique. Dans le domaine de l’apprentissage non formel, le chiffre équivalent est estimé à 18 %, a déclaré Tatjana Babrauskienė, membre du CESE et rapporteure de plusieurs avis du CESE sur l’éducation et la formation. Elle met en garde contre le fait que l’Union européenne est encore loin des objectifs de reconversion et de mise à niveau des compétences fixés pour 2025, et qu’elle est en fait à la traîne par rapport aux chiffres antérieurs à la pandémie.

Les plus durement touchés sont les travailleurs employés dans les services administratifs et de soutien. En moyenne, les personnes travaillant dans le secteur des arts, du divertissement et des loisirs devraient perdre près de trois quarts des possibilités d’apprentissage informel et non formel chaque semaine. Les travailleurs défavorisés et peu qualifiés disposent désormais de moins de possibilités d’apprentissage.

Pour M. Siebel, l’enseignement et la formation professionnels (EFP) sont au cœur de la révolution des compétences. C’est le moteur de la double transition et non son atelier de réparation. L’enseignement et la formation professionnels fournissent aux personnes (jeunes ou adultes), aux entreprises et aux sociétés les compétences nécessaires pour maîtriser et façonner la reprise, et sont une condition préalable à une croissance inclusive et durable.

Gijs van Houten, d’Eurofound, souligne l’importance de la formation sur le lieu de travail et de l’existence de lieux de travail axés sur les personnes. L’autonomie des employés y est accrue, leurs points de vue y sont entendus et la formation et l’apprentissage y sont encouragés. Ces pratiques peuvent être observées dans environ un cinquième des lieux de travail de l’Union, dans tous les types d’entreprises et quels que soient le pays, la taille, le secteur ou la stratégie en matière de compétitivité.

Ces lieux de travail sont non seulement plus performants et plus sûrs pour le bien-être de leurs employés, mais ils sont également plus numérisés et plus innovants. La formation est un moyen important d’obtenir des résultats positifs sur le lieu de travail, a déclaré M. van Houten

PROTÉGER LES PERSONNES VULNÉRABLES GRÂCE À L’ÉDUCATION

Les participants à l’audition ont souligné l’importance de l’éducation pour une transition juste, non seulement sur le marché du travail, mais aussi dans la société dans son ensemble.

Selon Susana Olivera, de la plateforme pour l’éducation et la formation tout au long de la vie (LLP), une transition juste constitue un véritable instrument pour réduire l’injustice sociale et améliorer la qualité de vie et les droits. Les citoyens doivent avoir un accès égal à l’éducation. Réduire l’éducation et la formation tout au long de la vie aux seules propositions en matière d’employabilité revient à réduire leur capacité à développer la cohésion sociale et l’épanouissement personnel.

Sandra Parthie, membre du CESE, a souligné que l’industrie n’est pas uniquement un investissement dans les infrastructures mais aussi dans les compétences et les talents adéquats pour maintenir les jeunes en Europe et prévenir la fuite des cerveaux: les pénuries dans les chaînes de valeur stratégiques et la pénurie de travailleurs qualifiés compromettent la capacité des industries européennes à se remettre rapidement de la pandémie. C’est là un sujet de préoccupation pour les employeurs qui devrait être traité non seulement au moyen de la réindustrialisation, de l’économie circulaire et de la politique commerciale, mais aussi par des mesures liées aux compétences.

Robert Plummer, représentant de Business Europe, a évoqué l’importance de développer des fonds de formation, lesquels existent déjà sous différentes formes dans la majorité des États membres mais devraient être encore renforcés.

Stefan Enica, de SGI Europe, a mis en garde contre le risque que le manque d’investissements dans l’éducation et les compétences puisse avoir une incidence négative sur la réduction des inégalités sociales dans les États membres.

Il convient de sensibiliser les citoyens à l’environnement et aux compétences de gestion, et notamment à la compréhension de l’impact climatique des décisions des entreprises, a déclaré M. Enica, ajoutant que les compétences non techniques, telles qu’une éducation démocratique et l’esprit critique, ont une incidence importante sur le lieu de travail.

L’audition a également mis l’accent sur la nécessité de prévenir les effets négatifs de ces profonds changements sur le marché du travail sur les plus vulnérables.

La reconversion et le perfectionnement professionnels devraient également être mis en temps utile à la disposition des personnes qui sont déjà au chômage et des travailleurs de toutes les régions, a déclaré Laura de Bonfils, de la plateforme sociale.

Agnes Roman, de la Confédération européenne des syndicats (CES), a souligné l’importance de impact qu’auront les politiques climatiques sur les travailleurs: Une transition juste passe par une évaluation sociale et économique rigoureuse afin d’anticiper les changements et de créer d’autres possibilités d’emploi. Les travailleurs ont besoin de savoir comment leurs emplois évolueront et ne doivent pas être laissés seuls face à leurs besoins en matière de compétences.

L’avenir du secteur des services, mis à genoux pendant la pandémie, ne semble pas aussi sombre.

L’action en faveur du climat favorise la création d’emplois dans le secteur des services. Nous devons veiller à ce que les emplois créés répondent à des normes identiques à celles qui existent dans l’industrie manufacturière, si l’on veut qu’ils servent de filet de sécurité lors de la transition de la production à forte intensité de carbone vers une économie à émissions nulles, a déclaré Mark Bergfeld, d’UNI Europa.

L’audition a été clôturée par M. Pilawski: Grâce à la double transition écologique et numérique en cours dans le contexte de la stratégie industrielle, nous assistons à de profonds changements sociétaux. C’est pourquoi l’apprentissage tout au long de la vie et le perfectionnement professionnel ne sont pas uniquement des exigences du marché du travail ou de l’économie, mais constituent également un défi de civilisation.