L’UE doit s’attaquer à la question du démantèlement des navires et poser les jalons d’une industrie européenne du recyclage

L’Europe a la capacité et le savoir-faire technique pour réparer et entretenir les navires ainsi que les plateformes pétrolières et gazières. Elle a un intérêt économique majeur à conserver et à développer une industrie spécialisée du recyclage en mer. De nombreuses installations pétrolières et gazières flottantes devront être démantelées au cours des années à venir. Parallèlement, les possibilités de recyclage de navires commerciaux sur les chantiers de l’UE vont augmenter. Aujourd’hui, c’est à la Commission de saisir cette occasion et d’affûter le règlement relatif au recyclage des navires en mettant en place un instrument financier qui encourage les armateurs à recycler leurs navires dans des installations agréées par l’UE.

Deux manifestations consécutives, organisées par le Comité économique et social européen (CESE) et les députés au Parlement européen Margrete Auken (DK), Pascal Durand (FR) et Bart Staes (BE), membres du groupe des Verts, ont mis en évidence la nécessité d’une action urgente de la part de la Commission européenne.

Un instrument financier est nécessaire pour assurer la conformité avec le règlement de l’UE relatif au recyclage des navires

Si le règlement de l’UE de 2013 relatif au recyclage des navires interdit effectivement l’«échouage» (démantèlement de navires sur des plages) et établit des règles et des normes en matière de recyclage sûr et durable des navires européens ainsi que des installations pétrolières et gazières flottantes, il manque à son objectif, dans la mesure où le droit maritime international facilite le dépavillonnement d’un navire et son immatriculation dans un pays tiers. Les navires en fin de vie sont en effet vendus à des ferrailleurs connus pour utiliser des «pavillons de complaisance» qui permettent aux armateurs de se défausser de leur responsabilité quant au recyclage adéquat de leur navire.

Dans son récent avis sur le thème «La démolition navale et la société du recyclage», le CESE a plaidé en faveur d’une incitation financière au titre du règlement relatif au recyclage des navires, afin de mettre un terme définitif aux pratiques des armateurs qui contournent facilement la législation en dépavillonnant leur navire et en l’immatriculant dans un pays tiers. «Il existe aujourd’hui une dynamique et un soutien adéquat de la part d’une vaste coalition de parties prenantes pour aller de l’avant et mettre en place une incitation financière au titre du règlement relatif au recyclage des navires», ont affirmé avec beaucoup de conviction Martin Siecker et Richard Adams, respectivement membre et délégué du CESE. «Il nous faut un instrument financier qui encourage les propriétaires à veiller à ce que leur navire en fin de vie soit démantelé dans des conditions respectueuses des normes européennes.» L’instrument financier proposé par le CESE et désormais soutenu par Mme Auken et MM. Durand et Staes, députés au Parlement européen, prévoit le paiement d’une contribution spécifique pour chaque navire, qui serait déposée auprès d’une grande institution financière dans le but d’accumuler un capital qui servirait à financer un recyclage sûr et durable. Le montant de cette contribution serait déterminé en tenant compte du tonnage, du type de transport, de la fréquence des escales dans l’UE, de la conception (sur la base du principe «du berceau au berceau») et de la présence de matériaux toxiques à bord. Le capital serait constitué par les propriétaires de navire qui, à chaque escale d’un de leurs bâtiments dans un port de l’UE, verseraient la cotisation appropriée au fonds spécifique qui lui est associé. Si le navire en fin de vie est recyclé dans un chantier agréé par l’UE, cette somme pourra être restituée, ce qui permettra de compenser le surcoût d’un démantèlement responsable.

L’industrie européenne est prête à saisir cette occasion de créer des centaines d’emplois en Europe

Invités à s’exprimer, des représentants de l’industrie du recyclage et des ports européens ont confirmé qu’ils possèdent le savoir-faire nécessaire pour démanteler des navires conformément à la législation européenne, et qu’ils sont prêts à investir et à créer des emplois durables en Europe. Des initiatives en ce sens existent déjà dans plusieurs États membres et méritent d’être soutenues. «Si l’UE prend le plan Juncker au sérieux, elle doit saisir cette chance pour l’industrie européenne et fournir les instruments juridiques nécessaires. C’est la seule manière de mettre un terme à l’échouage», a déclaré Margrete Auken, députée au Parlement européen. En outre, ce secteur offrirait à l’Europe, et en particulier à son industrie sidérurgique, des matières premières dont la pénurie et les prix élevés et volatiles sont source de préoccupation. Des installations pétrolières présentes en mer du Nord doivent être démantelées et recyclées en Europe selon les règles de la convention OSPAR.

Un manque d’enthousiasme de la part des propriétaires de navire

Cependant, les propriétaires de navire européens ont exprimé de sérieuses réserves, faisant valoir que la convention de Hong Kong de l’OMI a fixé des normes adéquates pour mettre fin aux abus évoqués par les participants à la manifestation, et ce en dépit de la présentation de preuves claires que les «chantiers» agréés au titre de ladite convention ne répondaient pas même au plus bas niveau de conformité requis. L’ECSA (Association des armateurs de la Communauté européenne) a également laissé entendre que les chantiers de l’UE n’avaient pas la capacité de répondre à la demande mondiale et que les coûts associés seraient prohibitifs. L’idée de faire payer les propriétaires pour le démantèlement adéquat de leur navire en fin de vie n’a pas bénéficié d’un accueil favorable.

L’Europe doit respecter ses obligations morales

Selon l’OIT, la démolition de navires sur les plages — l’«échouage» — en Inde, au Pakistan, au Bangladesh et dans d’autres pays d’Asie du Sud est le travail le plus dangereux au monde. Le CESE estime que c’est aussi l’un des plus inhumains. Toutefois, depuis trente ans, la grande majorité des navires déclassés sont acheminés vers ces pays puis «échoués», c’est-à-dire chavirés sur le rivage où des travailleurs non protégés les démantèlent dans la zone intertidale, causant des ravages sur le plan environnemental. «Il faut mettre un terme à cette pratique, car l’UE a aussi le devoir moral de défendre les droits fondamentaux des travailleurs à l’étranger», a indiqué Martin Siecker. Et de conclure: «Les compagnies de navigation européennes doivent respecter les normes européennes, et le secteur pétrolier et gazier qui mène des activités en mer du Nord et dans d’autres eaux de l’UE devrait veiller au démantèlement adéquat de ses plateformes dans des installations figurant sur la liste des chantiers de recyclage de navires agréée par l’UE».

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